La mission menée par le Dr Patrick Pelloux sur la radicalisation à l'hôpital (lancée il y a environ un an) devrait rendre son rapport au ministre de la Santé jeudi. D'une cinquantaine de pages, le document que le « Quotidien » s'est procuré, dresse surtout le constat d'un phénomène difficile à quantifier et d'un manque de formation des agents. La mission formule ainsi une vingtaine de propositions sur la radicalisation (au sens religieux, mais aussi politique ou social), le prosélytisme et les atteintes à la laïcité, et appelle notamment à renforcer les outils au service des établissements ainsi que l'encadrement des cultes à l'hôpital.
Basé sur plus de 30 entretiens auprès de 70 interlocuteurs, le rapport de la mission fait état d'un cadre réglementaire peu connu par les acteurs du système de santé et d'un manque de coordination entre parties prenantes, malgré une réflexion amorcée depuis plusieurs années par le système institutionnel « pour construire des outils préventifs et coercitifs en cas de signalement de radicalisation ». Bien que le phénomène soit en augmentation depuis une dizaine d’années, « les situations de radicalisation en milieu hospitalier demeurent rares mais difficiles à quantifier », indique la mission.
Phénomène peu quantifié
Leur signalement, via un numéro vert du Centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR), est encouragé mais il n'existe aucun dispositif de veille permettant de mesurer le phénomène, indique la mission. Selon les données du ministère de l’Intérieur, « un très faible nombre » de cas de radicalisation a été relevé au sein du secteur de la santé : quelques dizaines de profils seulement seraient suivis. Au cours des auditions réalisées, un seul cas de radicalisation a été rapporté, celui d’un interne en chirurgie condamné en 2019 à neuf ans de prison pour apologie du terrorisme, et qui projetait de se rendre en Syrie.
Plusieurs cas de prosélytisme au sein d’un établissement de santé ont toutefois été rapportés, à la fois de personnels soignants cherchant à convaincre et manifester leur religion vis-à-vis de leurs collègues, et d’intervenants extérieurs issus de communautés religieuses usant de leur fonction de représentant. Ces cas s’inscrivent souvent dans un environnement de fragilité d’un service ou des patients pris en charge, avec des activités de soin qui touchent à la vie (avortement, grossesse, etc.), la mort (soins palliatifs, dons d’organes etc.), ou à la santé mentale et la psychiatrie.
Les atteintes à la laïcité, elles, font l’objet d’un suivi dans le cadre de l’Observatoire national de la violence en milieu de santé (ONVS), mais les signalements répertorient uniquement des situations concernant des patients. « Plusieurs témoignages d’atteinte à la laïcité ont été recueillis dans le cadre des entretiens réalisés avec les représentants syndicaux ou les cadres hospitaliers », souligne cependant la mission, citant le non-respect de l’interdiction du port du voile par le personnel, la discrimination du patient en fonction de son genre, ou des pratiques déviantes sur l'accès à la contraception et à l’IVG, les soins des personnes LGBT, les dons et prélèvements d’organes.
Sujet tabou
Mais ces quelques exemples ne permettent pas de mesurer l'ampleur du phénomène et son évolution, la mission estimant qu'il y a une « sous-estimation possible du phénomène », autour de ce « sujet tabou ». L’absence de dialogue et de leviers d’action pour les directions d'hôpital, empêche « une gestion rapide et dépassionnée » des cas. Ainsi, « la plupart des cas rapportés font état d’une crainte de déstabiliser les équipes ou le service concernés par une situation problématique, que ce soit un processus de radicalisation ou la gestion d’atteintes à la laïcité ou de prosélytisme », estime la mission, qui évoque la peur « de ne pas être entendu ni compris » chez les personnes auditionnées.
Par ailleurs, il est souvent constaté un « émiettement » de la chaîne de signalement et de décisions. À cela s'ajoute « un manque d’outils concrets » à disposition des directions d’établissements une fois le signalement rapporté, afin de prendre des actions vis-à-vis de l’agent concerné. Plus globalement, le rapport souligne une méconnaissance des outils de signalement et le peu d'harmonisation des agences régionales de santé (ARS), due à un manque de formation et de communication.
Malgré la possibilité de suspendre ou d'engager une procédure disciplinaire, « les interlocuteurs interrogés font état d’un sentiment d’impuissance face à des situations difficiles à instruire, avec peu de conséquences pour l’agent incriminé », résume le rapport. Pour y remédier, la mission propose de lancer une campagne de communication nationale sur le numéro vert de signalement de la radicalisation, ou encore de développer une méthode à disposition des services juridiques et RH sur la prévention et le traitement de signalements.
Financement des aumôneries à revoir
Pour autant, la mission Pelloux constate « un engagement fort en faveur du respect de la laïcité » et le souhait « d’encourager le dialogue interreligieux et une meilleure connaissance du fait religieux » avec un exercice du culte « encadré et serein » au sein des établissements de santé, notamment via les aumôniers hospitaliers. En 2018, ils étaient 3 311 aumôniers, pour 853 établissements. Toutefois, il apparaît « utile », glisse la mission, « dans un contexte de fortes contraintes budgétaires sur les hôpitaux et d’évolution du fait religieux depuis le début du XXe siècle, d’interroger le maintien de leur financement dans son état actuel ».
Enfin, la mission propose de rendre obligatoire et systématique la signature de la Charte de la laïcité lors de l’embauche de tout agent dans un établissement de santé. Une idée qui semble avoir recueilli l'assentiment de la plupart des organisations hospitalières, y compris étudiantes. Au niveau des pratiques médicales, le rapport appelle à « réaffirmer la primauté du soin » et à « renforcer la surveillance des dérives médicales », mais également à engager une réflexion dans le secteur libéral.
« La prévention et la lutte contre la radicalisation ne doivent pas s’entendre comme une suppression des cultes au sein de l’hôpital, mais doivent s’atteler à articuler pratique des soins et liberté religieuse dans un cadre rénové de respect de la laïcité », conclut la mission, appelant à « dissocier l’exercice du culte du fanatisme » et à réaffirmer les principes de neutralité et non-discrimination, « qui organisent le vivre-ensemble et la prise en charge des patients dans un hôpital ».
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