Nicolas Revel, le patron de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), a été le premier patron des CHU à oser le dire, en novembre 2023 : « Nous sommes en train d’inverser la spirale négative de l’attractivité ». À la fin de l’année dernière, au lieu de perdre 600 infirmières comme les années précédentes, le solde entrées/sorties était légèrement positif. Chiffre encore plus frappant : 16 à 20 % d’infirmiers diplômés d'État (IDE) en plus ont été recrutés cette année-là par rapport à 2022. Quant au nombre de praticiens hospitaliers, il est resté stable, voire a légèrement augmenté. Même tendance à l’AP-HM de Marseille, qui a annoncé en février avoir reconstitué ses capacités d’hospitalisation de 2019.
Comment, en si peu de temps, ces deux établissements sont passés d’un état de crise à tous les niveaux (sanitaire, démographique) à une forme d’attractivité renouvelée dans le cœur des soignants ? Est-ce ponctuel et limité à certains CHU plus prestigieux que d’autres ? Ou tous bénéficient-ils de l’embellie ? La réponse est cruciale pour les praticiens hospitaliers, soucieux de travailler dans de bonnes conditions de travail – ce qui se traduit au premier chef par des équipes paramédicales renforcées et consolidées.
Météo normande
Selon la conférence des directeurs généraux de CHU, les 32 établissements sont gagnants. Entre 2022 et 2023, le taux d’absentéisme moyen des infirmiers est passé de 9,9 % à 8,7 %, celui des aides-soignants de 12,9 à 11,7 %. Ces taux étaient en 2019 respectivement de 8,1 % et de 11,1 %.
Cette tendance s’affiche également sur le taux de vacance des infirmiers, en repli léger mais bienvenu : de 5,7 % en avril 2022 à 4,98 % en juin 2023 au global et de 4 % à 3,85 % pour les CHU.
Si la météo des CHU annonce clairement une éclaircie, les nuages ne sont jamais bien loin, tempère la Fédération hospitalière de France (FHF). « Alors que la situation s’est améliorée pour les infirmières diplômées d’État, celle des spécialistes de bloc (Ibode) et d’anesthésie (Iade), celle des manipulateurs radio comme des préparateurs en pharmacie reste franchement préoccupante » confirme Hélène Gendreau, responsable du pôle ressources humaines hospitalières à la FHF.
Côté médecins (lire encadré p. 17), ce n’est pas encore la panacée. Malgré les efforts des CHU, la psychiatrie, la gériatrie, les urgences, l’anesthésie-réanimation, la cardiologie et la pédiatrie sont toujours en quête de candidats.
Que ce soit du côté des médecins ou des paramédicaux, inverser la tendance a réclamé aux CHU des idées. Dans un contexte financier tendu pour ces établissements souvent très endettés (le déficit cumulé des CHU a triplé en un an pour atteindre 1,2 milliard d'euros fin 2023), des mesures d’attractivité tous azimuts ont été lancées. En parallèle, plusieurs (gros) coups de pouce financiers du gouvernement (« Ségur » sur les salaires décidé en 2020, 2021 et 2022, revalorisations du travail de nuit, week-end et jours férié actées en 2023) ont contribué à donner de nouvelles marges de manœuvre aux directeurs d’établissement.
Nous essayons d’être imaginatifs par rapport à l’organisation très contrainte de l’hôpital
Philippe El Saïr, président de la conférence des directeurs généraux de CHU
Les uns après les autres, les CHU se sont mobilisés pour déployer des plans de fidélisation et d’attractivité avec des actions concrètes qui parlent aux soignants : solutions de gardes d’enfants, logement, organisation du travail, meilleur accueil des nouvelles recrues, etc. « Nous essayons d’être imaginatifs par rapport à l’organisation très contrainte de l’hôpital où, je le rappelle, on doit travailler un week-end sur deux et la nuit », explique Philippe El Saïr, président de la conférence des directeurs généraux de CHU et patron du CHU de Nantes.
Illustration avec le CHU de Grenoble, qui a vu le taux d’absentéisme des paramédicaux baisser de 2 % en 2023 grâce au recrutement de 220 infirmiers et 112 aides-soignantes. La même année, des campagnes de recrutement ont été organisées, une plateforme dédiée a été mise en place, des bourses d’études ont été débloquées conditionnées à la signature d’un contrat de travail, de même qu’une prime à l’embauche de 6 000 euros.
Le CHU a également sorti la carte de la formation, jouant sur la transversalité (d’aide-soignant à infirmier) et la personnalisation des carrières. « Un travail collectif est mené pour accompagner au mieux les filières en tension comme la psychiatrie, les soins palliatifs, la gériatrie, avec des temps de travail paramédicaux à la carte », confirme la Pr Marie-Thérèse Leccia, vice-présidente de la conférence nationale des CME du CHU et onco-dermatologue. Le résultat s’est tout de suite fait sentir au niveau du mètre étalon à l’hôpital : le lit. Grenoble en a rouvert 125 l’année dernière.
Transports et logements font la différence
Le taux d’absentéisme moindre par rapport aux centres hospitaliers le montre : le fait d’être un CHU est un atout pour attirer les talents. À Lyon, les HCL et ses 24 000 personnels (dont 6 000 médecins) répartis sur 13 sites tirent clairement leur épingle du jeu. C’est le CHU le plus choisi par les internes. Comme ailleurs, le taux de vacance médical est très (trop) élevé en gériatrie, aux urgences et en anesthésie-réanimation. Mais le CHU confirme que ces deux derniers services sont désormais les plus attractifs. En 2023, 91 médecins ont franchi leurs portes.
La même dynamique est constatée chez les paramédicaux en formation. Deux-cent soixante infirmiers supplémentaires (par rapport aux années précédentes) sortiront diplômés des deux instituts (IFSI) adossés au CHU en juillet 2024. Là encore, des mesures d’attractivité qui peuvent au premier abord sembler anodines font la différence : les HCL disposent de crèches, prennent en charge 75 % (au lieu de 50 %) du coût du transport et ont noué des partenariats intéressants avec des bailleurs sociaux qui, Lyon n’étant pas la ville la moins onéreuse de France, plaisent aux soignants.
C’est peut-être le CHU de Bordeaux qui gagne la palme du recrutement. À effectifs constants, la masse salariale a crû de 23 % entre 2021 et 2023. Hormis le mouton noir des urgences, toutes les spécialités médicales en tension ont réussi à séduire des praticiens, en particulier la médecine interne et polyvalente, la gériatrie et la gérontologie. Sur le versant infirmier, même apaisement à l’horizon avec 487 recrutements en 2023 et la stabilisation des effectifs. « Nous avons recruté beaucoup de médecins du travail, d’infirmières, de psychologues et d’ergonomes présents pour aider nos équipes, détaille Matthieu Girier, directeur du pôle RH du CHU bordelais. Nous avons aussi mis en place un service spécialisé dans les violences endogènes fondé sur deux dispositifs de médiation et de coaching. Nous avons fait le choix d’écouter nos soignants. » En plein débat sur le harcèlement sexuel et moral à l’hôpital, une approche du recrutement clairement bienvenue.
La délicate embauche des PH : un tabou ?
Sur le site du Centre national de gestion (CNG), trouver le taux de vacance national des praticiens hospitaliers n’est pas chose aisée. Au 1er janvier 2021, 31,2 % des postes à temps plein et 52,3 % des postes à temps partiel sont vacants. Depuis, le CNG a continué son travail de statistiques annuelles sans actualiser ce pourcentage. Cette discrétion sur le recrutement médical se retrouve dans les réponses des CHU au Quotidien. Tous les établissements, même les plus attractifs, ont préféré mettre la poussière sous le tapis. En 2021, 15,8 % des PH à temps plein qui ont quitté l'hôpital l’ont fait par démission. C’était deux points de plus que l’année précédente.
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