Sénateur écologiste de Paris et médecin généraliste, le Dr Bernard Jomier vient de déposer, avec une trentaine d'autres collègues de son groupe au Sénat, une proposition de loi visant à instaurer « un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé » dans les établissements publics et privés non lucratifs. Pour le parlementaire, qui a présidé la commission d'enquête sur l'hôpital dont le rapport a été remis en mars dernier, établir des ratios de façon progressive permettra de redonner du sens aux métiers paramédicaux. Le texte sera inscrit en séance publique début 2023.
LE QUOTIDIEN : Dans quel cadre s'inscrit cette proposition de loi que vous venez de déposer ?
Dr BERNARD JOMIER : Dans celui de la situation actuelle des hôpitaux, qui sont en grande difficulté avec des personnels qui le quittent. Le Ségur de la santé, qui a été un apport bienvenu de financement, n'a répondu que très partiellement aux problématiques. Un point nous avait marqué lors des travaux de la commission d'enquête du Sénat, celui de l'impression de la perte de sens des personnels soignants pour leur travail. Or, cette perte de sens est fortement liée au fait que les personnels n'ont plus assez de temps pour assumer dans de bonnes conditions leurs fonctions, ils ont le sentiment de ne plus être bien-traitant avec les patients. C'est très violent pour eux, car c'est une négation de leur identité professionnelle.
Quel en est le principe ?
Instituer des ratios de soignant par nombre de patients, c'est envoyer un message très clair aux premiers, en leur disant que nous allons restaurer leur qualité de vie au travail et leur permettre de prendre en compte cette dimension du « temps nécessaire ». Si cette loi est votée et ces ratios mis en place ensuite, la situation et les perspectives seront meilleures. Actuellement, cela n'existe pas, sauf dans les services de soins critiques et de réanimation. Pire, dans tous les projets de restructuration, on diminue le nombre d'infirmières par patient ! Ce n'est plus acceptable car cela prive le secteur de toute perspective d'amélioration. Cette proposition de loi découle de notre rapport, où nous proposions un mécanisme d'alerte lorsque le ratio soignant/patient est trop bas dans les services hospitaliers.
Ces ratios seront-ils obligatoires ?
Oui, ils seront obligatoires, définis par voie réglementaire. L'objectif est de renforcer le nombre d'infirmières et d'aides-soignantes, puisque ce sont essentiellement ces deux professions qui sont visées – mais le débat parlementaire dira peut-être autre chose - pour revenir à des ratios plus adaptés à la charge en soins. Il faut sortir de la logique des flux tendus qui fait qu'actuellement, il n'y a aucune marge de manœuvre face aux fortes variations d'activités. Des infirmières ou aides-soignantes voient leur planning sans cesse modifié, elles apprennent trois jours avant qu'elles doivent travailler le week-end. Cela désorganise les soins et épuise les personnels.
N'est-ce pas difficile à mettre en place dans un contexte justement de pénurie ?
Si. Vous ne pouvez pas, quand vous êtes à une infirmière pour 14 patients dans un service, du jour au lendemain arriver à une infirmière pour huit patients. Il faut donc indiquer une trajectoire par exemple d'une infirmière pour 12 patients en 2023, puis une pour huit en 2025 ou 2026. L'idée n'est pas d'arriver à des chiffres rigides, mais plutôt à une fourchette. Il y a une souplesse nécessaire pour s'adapter aux besoins des patients, qui ne sont pas les mêmes selon les établissements et les services. On ne va pas inventer un carcan qui gênerait l'activité hospitalière, et entraînerait des fermetures de lit. Cette proposition vise d'abord à renforcer les capacités des services de médecine, mais elle permettra par exemple de développer les infirmiers en pratique avancée (IPA) à l'hôpital.
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