« C’est une immense satisfaction », a confié ce mercredi au Quotidien Me Christelle Mazza, avocate de la famille du Pr Jean-Louis Mégnien, ce cardiologue de 54 ans qui s'était jeté par la fenêtre du 7e étage de l'hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), le 17 décembre 2015 (après avoir repris le travail trois jours plus tôt, après neuf mois d'arrêt maladie).
Quelques minutes plus tôt, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), jugée en tant que personne morale, avait été condamnée à une amende de 50 000 euros pour harcèlement moral – le maximum encouru étant 150 000 euros. Cette décision est conforme aux réquisitions du ministère public qui avait réclamé en juillet une peine « mesurée » en faisant valoir qu'il s'agissait d'un « dossier individuel » et pas de « harcèlement institutionnel ».
L'AP-HP fait appel
Pour la présidente du tribunal, cette peine est « adaptée à la gravité des faits et des antécédents de l’AP-HP », déjà condamnée à quatre reprises (en 2003, 2006, 2012 et 2013) pour des homicides involontaires. La culpabilité du CHU francilien est ainsi reconnue en termes choisis : informée de la situation personnelle du Pr Mégnien, « l’AP-HP ne s’est jamais opposée à ce qui a été mis en œuvre pour isoler le professeur », a affirmé la présidente du tribunal lors du délibéré.
Une décision « fort contestable en droit et en fait » et « incompréhensible », a objecté Me Mario Stasi, l'avocat de l'AP-HP, qui a décidé de faire appel. Le CHU francilien considère en effet « qu’en aucune manière l’établissement et la directrice de l’HEGP de l’époque n’ont, en cherchant à mettre fin à un long conflit au sein d’une équipe médicale de cet hôpital, organisé ni laissé s’organiser un processus de harcèlement moral qui aurait conduit au suicide du Pr Mégnien ».
Poussé à la faute, évincé des réunions
Principal prévenu dans ce dossier, le Pr Alain S. a été également été condamné à huit mois de prison avec sursis – la procureure avait requis un an – et 10 000 euros d'amende, tout comme l'ancienne directrice de l'hôpital de l'époque, Anne Costa. Deux autres professionnels de santé ont été respectivement condamnés : le Pr Eric T. à quatre mois de prison avec sursis et 5 000 euros d'amende, et le Pr Michel D. à 5 000 euros d'amende.
Pour le tribunal, un certain nombre de faits et comportements caractérisent clairement le harcèlement moral subi par le Pr Mégnien. Ce dernier a été « volontairement isolé et poussé à la faute », a résumé la présidente du tribunal, précisant que « ces faits de harcèlement ne sont intervenus que par l’action collective de l'AP-HP, la directrice ou par des professeurs ». Et d’illustrer que le cardiologue « n’a plus été salué et s’est vu exclu des lieux d’expression, étant évincé des réunions de travail et des moments de convivialité ».
De surcroît le praticien a été « déconsidéré auprès de ses collègues et de ses patients », ses ordonnanciers ayant été modifiés et son activité médicale « transférée de manière forcée au 2e étage », a-t-elle poursuivi. Autre preuve de harcèlement moral, selon la présidente : le Pr Mégnien a été « écarté de sa structure et de sa collectivité de travail », l’unité fonctionnelle du Centre de médecine préventive cardiovasculaire (CMPCV), ce qui a contribué à « la dégradation de sa santé physique et psychique ».
Placardisation
Dans le détail, le tribunal a reproché au Pr Alain S. d’avoir « tenu des propos visant à discréditer Jean Louis Mégnien » auprès de sa hiérarchie, de ses collègues et de ses patients. Celui-ci est aussi condamné pour avoir envisagé « la délocalisation de l’activité » du chirurgien et le déménagement de son bureau, « comme unique solution aux difficultés relationnelles apparues au sein du service CMPCV ». Une décision d'exfiltration qui aurait été appuyée par le Pr Eric T., selon le tribunal, alors que « l’état apparent du Pr Mégnien ne cessait de se dégrader ».
Le tribunal a en revanche été plus clément envers le Pr Michel D., unanimement décrit par les témoins comme « pacificateur et conciliateur ». C’est aussi le seul des prévenus « qui a cherché à atténuer les effets de l’entreprise de mise à l’écart du Pr Mégnien », estime le tribunal. Néanmoins, celui-ci ne s’est pas opposé, en sa qualité de chef de pôle, « à une situation qui imposait à son collègue une rupture relationnelle avec l’unité », estime le tribunal.
Par ailleurs, l’intégralité des prévenus a été condamnée à verser solidairement aux ayants droit 50 000 euros au titre de préjudice moral.
Les décisions contestées d'Anne Costa
Enfin, la directrice Anne Costa, au lieu de « suspendre provisoirement un praticien de ses fonctions », a choisi d’organiser des réunions de médiation et de conciliation. Or, ces réunions avaient en réalité pour objet « d’imposer la délocalisation du Pr Mégnien, sans entourer cette sanction déguisée des garanties inhérentes à la loi disciplinaire », considère le tribunal.
Pire, l’ex-directrice de l’HEGP « persista à imposer cette décision sans tenir compte des alertes suicidaires reçues et du retentissement apparent de cette attitude inflexible sur la santé du Pr Mégnien ». Et ce, y compris, « dès l’annonce de son retour après plusieurs mois d’absence pour un arrêt maladie dont elle connaissait la cause », dénonce le tribunal.
Quelques minutes après le délibéré, Marie Burguburu, qui défend Alain S., a indiqué que son client allait aussi faire appel. Selon l’avocate, « la décision ne correspond absolument pas à la réalité des faits. Il faut arrêter de transformer chaque accident de vie en infraction pénale, ou alors plus personne ne fera plus rien ! », a-t-elle précisé au Quotidien.
« Signe fort au monde médical »
De son côté, Christelle Mazza, l’avocate de la famille du Pr Mégnien, a considéré que le tribunal avait pris « l’exacte mesure de la gravité des faits » et souligné « le caractère collectif du harcèlement qui impliquait toute une ligne hiérarchique jusqu’à la personne morale ». « C’est un signe fort envoyé au monde médical et à l’institution hospitalière », a-t-elle souligné. « C’est un établissement dans lequel on soigne des gens, où on sauve des vies, ajoute-t-elle. On n’est pas là pour que les gens se suicident au travail ou soient en extrême souffrance. Il faut réhumaniser l’hôpital et faire en sorte que ce type de drame ne se reproduise pas. »
Les collègues de ce père de cinq enfants avaient rapporté sa « descente aux enfers progressive », les « maltraitances » et « manœuvres » de ses supérieurs pour que le poste de chef de service de médecine préventive cardiovasculaire qu'il convoitait lui échappe et l'organisation de sa « placardisation ». Ils avaient assuré qu'un avertissement sur la souffrance de ce médecin et ses risques suicidaires n'avait pas été pris en compte.
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