« C’est historique ! Probablement la plus grande avancée pour le droit des internes depuis 20 ans », s'enthousiasme Gaétan Casanova, président de l’Intersyndicale des internes (Isni), contacté ce jeudi, au lendemain d'un verdict très attendu sur le temps de travail dans les hôpitaux.
Le 22 juin, le Conseil d’État, saisi par les internes et les praticiens hospitaliers, a certes rejeté leur demande d'obliger le gouvernement à renforcer les règles en vigueur pour décompter précisément le temps de travail hospitalier. Mais cette défaite apparente a un goût de victoire car, dans ses conclusions, la plus haute juridiction administrative du pays a, pour la première fois, sommé les services de mettre en place un « dispositif fiable, objectif et accessible » permettant de décompter « le nombre journalier d’heures de travail effectuées par chaque agent ». En clair, il rappelle à l'ordre tous les hôpitaux et services concernés.
Demi-journées, quand c'est flou...
Alors que le Code de la santé publique prévoit un temps de travail décompté par demi-journées pour les PH et les carabins, l’Isni, le syndicat Jeunes Médecins et Action Praticiens Hôpital (APH) contestent depuis des années ce système flou, sources de dérives et de dépassement chronique du temps de travail, conduisant à l'épuisement généralisé des confrères.
Après avoir saisi Matignon à l’été 2020, courrier resté lettre morte, les syndicats avaient lancé en novembre de la même année un recours au Conseil d’État pour imposer à l'exécutif une nouvelle réglementation sur le temps de travail à l'hôpital.
Règlement intérieur
Si le Conseil d’État a rejeté le recours des hospitaliers, après une audience tenue le 8 juin dernier, c’est simplement parce que le droit impose déjà, sur le papier, le respect du décompte du temps de travail, fixé à 48 heures maximum par semaine.
Ainsi, pour les internes, les dix demi-journées « ne peuvent (…) excéder 48 heures par période de sept jours, calculées en moyenne sur le trimestre », rappelle le Conseil d’État dans sa décision consultée par « Le Quotidien ». Mais il reconnaît toutefois qu’« aucune disposition du code de la santé publique ne précise à combien d’heures de travail correspond (…) une demi-journée ».
Dès lors, puisque le temps de travail est borné à 48 heures, mais que ce n'est pas respecté, la haute juridiction rappelle à l’ordre les établissements afin qu'ils décomptent eux-mêmes de façon objective le temps de travail de leurs agents. Les moyens de mesurer précisément ces horaires relèvent du « règlement intérieur » de chaque hôpital. « Ces dispositions impliquent nécessairement que les établissements publics de santé se dotent, en complément des tableaux de services prévisionnels » d’un dispositif « fiable, objectif » pour décompter « outre le nombre de demi-journées, le nombre journalier d’heures de travail effectuées par chaque agent », martèle le conseil d'État.
« Les conseillers d’État sonnent la fin de la récré, résume Gaétan Casanova (Isni). Ils disent clairement que le décompte s’impose partout, et doit être exigé dans tous les établissements ».
Recours administratifs
Que se passera-t-il pour les établissements et services récalcitrants ? Là encore, le Conseil d’État glisse un conseil aux hospitaliers : entamer une procédure administrative. « En cas de désaccord individuel », « un recours administratif » devant la direction hospitalière, voire « devant le directeur général de l’agence régionale de santé », pourra être envisagé par les salariés. Aussi, les représentants d’internes pourront saisir l’ARS « d’une demande de réexamen de l’agrément du lieu de stage », recadre le Conseil d’État.
« On a fait l’autruche pendant trop longtemps, désormais, on sort la tête du sable », tonne le président de l’Isni qui voit dans cette décision « une mise en demeure morale » des hôpitaux. Pour le chef de file des internes, « désormais les établissements n’ont plus le choix, le décompte du temps de travail horaire doit être exigé partout, par la force si nécessaire et sous astreinte judiciaire pour les récalcitrants ». Déterminé, il exige la mise en place « sans délai » de dispositifs de décompte, « que ce soit des logiciels ou simplement une feuille à signer par le chef de service où l'on note ses horaires ».
Gage de sécurité pour les patients
Le combat sur le temps de travail dans les hôpitaux est loin d’être symbolique.
Alors que les suicides de médecins en formation se succèdent, et que les deux tiers des internes disent avoir déjà souffert de syndrome d’épuisement professionnel, les juniors étaient descendus dans la rue en juin 2021 pour réclamer ce décompte précis de leur temps de travail. Dans la foulée, le ministère de la Santé avait diligenté une enquête sur le sujet. Dévoilée en novembre, elle reconnaissait que 70 % des internes dépassaient le temps de travail légal, les hôpitaux sous-estimant largement les dérives.
« C’est une avancée pour les soignants mais c’est aussi un gage de sécurité pour les patients, analyse Gaétan Casanova. Ça sera peut-être l’occasion pour eux d’être soignés par des médecins qui ont dormi et d’éviter les erreurs médicales ».
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