Le 14 janvier, plus de 1 000 médecins menaçaient de démissionner de leurs fonctions administratives à l’hôpital. Cette semaine, à Rennes, Saclay, Nantes ou encore Brest, des dizaines de praticiens sont passés à l’action.
Avec une vingtaine de collègues, le Dr Sandrine Bonnel, chef de pôle à l’établissement public de santé mentale de Ville-Evrard (Seine-Saint-Denis), remettra sa démission dans quelques jours. Entre perte de sens et pénurie de soignants, la psychiatre de 56 ans explique son geste au « Quotidien ».
LE QUOTIDIEN : Pourquoi avoir fait le choix de démissionner ?
Dr SANDRINE BONNEL : J'ai le souci et le sentiment de pouvoir faire quelque chose pour le service public hospitalier. Je ne veux plus simplement subir et déplorer. Subir une lente dérive qu'on sent venir depuis une vingtaine d’années mais qui atteint aujourd’hui un seuil critique.
Il y a une impression de perte de sens. On travaille à toute vitesse, tout le monde court tout le temps, on n’a pas le temps de manger. Trouver un temps de réunion devient impossible, on est toujours en retard de quelque chose… Les outils informatiques créent une surcharge d’activité dénuée de sens soignant et les dispositifs de certification causent un surcroît d’activité stérile quand il n’est pas ubuesque.
Les patients pâtissent d'une situation où il n'y a plus assez de soignants. Il y a des services qui ferment faute d’infirmiers alors même qu’ils disposent parfois d’un matériel flambant neuf. On ne trouve plus de médecins non plus. En psychiatrie, les services d’hospitalisation temps plein et les urgences sont particulièrement en tension. Certains services fonctionnent avec des médecins mercenaires.
À Ville-Evrard, qui est le plus gros hôpital psychiatrique de France, nous devons avoir environ 25 postes de praticiens vacants ! Nous manquons également de places. La « chasse au lit » occupe un temps fou. Les médecins des urgences se disputent avec les médecins de garde. Tout le monde se dispute avec tout le monde car le système est en tension. Mais on est toujours là, on ne laisse pas tomber. Si on fait cela, c’est qu’on espère encore.
En quoi consiste exactement une démission administrative ?
C’est une méthode qui nous a été proposée par le CIH [collectif inter-hôpitaux, NDLR] et à laquelle nous avons réfléchi en interne à l'établissement. Cette réflexion est née le 17 novembre après la grande manifestation de défense de l’hôpital public.
Je tiens à le préciser : nous ne démissionnons pas de nos fonctions de soin. Cette démission touche les chefs de pôle et les responsables d’unités fonctionnelles. Nous maintenons nos fonctions soignantes et enseignantes mais nous ne siégerons plus par exemple à la CME ou aux différentes commissions. En ce qui me concerne, la rémunération de chef de pôle est de 200 euros par mois. Je pense qu’elle sera suspendue.
Avec les médecins qui souhaitaient démissionner, nous nous sommes mis d’accord sur un texte de pétition qui circule entre nous. Nous sommes pour l’instant à peu près 25. Nous irons en début de semaine prochaine déposer notre pétition au directeur.
Comment réagit la direction à cette vague de démissions ?
Les relations avec la direction ne sont pas mauvaises à Ville-Evrard. Ce n’est pas dans un climat de conflictualité locale que nous faisons ce geste. La problématique du recrutement et des fortes tensions connues par l’établissement, c'est quelque chose que l’on questionne régulièrement mais ce ne sont pas des crispations personnelles qui motivent notre mouvement. Ce sont plutôt les conséquences d'une politique globale de santé et qui s’applique à l’ensemble des services même si elle trouve des déclinaisons particulières en psychiatrie. Le climat local reflète une situation globale.
L'infléchissement de cette politique de santé s'impose. L’hémorragie a commencé depuis longtemps. On a le sentiment d'une extinction forcée d’un certain système de soin. Les soignants sont de bons petits soldats, on râle mais on y va quand même. Et cela fait très longtemps, mais on n’en est pas encore à la démission pure et simple.
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