De 2000 à 2013, le taux de décès des personnes souffrant de troubles mentaux a diminué de 15,1 %, surtout chez les hommes avec des troubles liés à l'usage de substances psychoactives, montre une étude de Santé publique France, publiée le 24 octobre dernier. Une lueur d'espoir, qui vient couronner les efforts de ceux qui se battent - médecins, usagers, proches - pour une meilleure prise en charge de la santé somatique des patients souffrant de troubles mentaux.
Une lueur qui néanmoins, ne saurait tromper sur le chemin encore à parcourir. La même étude rappelle l'entêtement des faits : sur la base des certificats de décès, les auteurs Catherine Ha et coll. confirment la mortalité précoce des personnes souffrant de troubles psychotiques. En moyenne, les hommes avec des troubles liés à des substances psychoactives décèdent à 61,5 ans, à 59,4 ans (60,7 ans pour les femmes) lorsque les troubles sont liés à l'alcool, et à 55,9 ans (et 67 ans pour les femmes) quand ils sont sujets à la schizophrénie. Les maladies cardio-vasculaires (27,3 %) sont la première cause de décès, suivies par les cancers (18 %). Les suicides, en 3e position, sont surreprésentés comparé à la population générale (11,1 % vs 1,3 %), ainsi que les causes digestives, respiratoires, les accidents et agressions.
Difficultés d'accès aux soins
Les raisons d'une telle situation sont multiples, explique au « Quotidien », le Dr Nabil Hallouche, président de l'association nationale pour la promotion des soins somatiques en santé mentale (ANP3SM). Certaines sont à chercher du côté du patient lui-même : difficulté à aller vers les soins spontanément, conditions de vie fragiles voire précaires, dégradation de l'hygiène de vie, parfois déni de la maladie ou non compliance aux traitements. Sans oublier que certains antipsychotiques atypiques présentent des risques métaboliques.
D'autres facteurs relèvent du système de santé : « L'accès aux soins - surtout en ambulatoire - est difficile, mal organisé », constate le Dr Hallouche. Insuffisante formation des soignants, manque de temps médical, obstacles financiers, stigmatisation de la pathologie mentale… Les patients psychotiques n'ont pas toujours de médecin traitant, et encore moins de suivi régulier.
Le Dr Nabil Hallouche pointe aussi le manque de communication voire les incompréhensions entre la ville et l'hôpital, entre le généraliste et le psychiatre, au détriment des 80 % des patients suivis en ambulatoire. « Quand un patient est hospitalisé, avec son accord, son généraliste doit être averti. Quand il sort, le psychiatre, en parallèle du compte rendu d'hospitalisation, devrait informer directement le généraliste du traitement et suivi préconisés ». Même ressenti du point de vue des familles et proches : « Le lien entre les centres médico-psychologiques (CMP) et les généralistes est variable selon les professionnels. Souvent, la coordination est un mot creux », regrette Marie-Jeanne Richard, vice-présidente de l'UNAFAM.
Les écueils sont des deux côtés. Le psychiatre, d'accès direct, n'est pas dans l'obligation (et n'a pas la culture) d'envoyer un courrier au généraliste ou au médecin traitant, analyse Marie-Jeanne Richard. D'autre part, la formation à la psychiatrie des généralistes reste hétérogène. Si un enseignement théorique est proposé dans la majorité (83 %) des départements de médecine générale, il n'est obligatoire que dans 41 % des cas, et n'occupe que 10 heures sur les trois années d'internat, constate une enquête nationale publiée en mai 2017 dans « Annales médico-psychologiques ». Ressort aussi de l'étude l'hétérogénéité des formations, dispensées à 80 % par des généralistes et l'inégalité des stages, souvent intrahospitaliers.
Marie-Jeanne Richard souligne enfin l'impensé qu'est le corps dans l'approche des personnes souffrant de troubles mentaux, de la part des soignants mais aussi des proches. « L'activité physique, le poids, l'hygiène de vie, passent souvent à l'arrière-plan » sans qu'il s'agisse pour autant de malveillance, déplore-t-elle.
Plaidoyer pour une meilleure communication
« Communiquer, se rencontrer » sont indispensables, aux yeux de l'ANP3SM, pour promouvoir une culture de soins globale. « Il y a eu beaucoup d’avancées », observe l'un des fondateurs, le Dr Djéa Saravane. Dans les hôpitaux généraux, la psychiatrie de liaison et les unités médico-psychologiques se développent. « Les hôpitaux psy ont pris conscience qu'on ne peut faire la différence entre le corps et l'esprit ; des somaticiens ont été embauchés pour examiner les patients et détecter les comorbidités ; ceci est systématique pour tous les enfants », salue le Dr Saravane.
Ainsi à Maison-Blanche, une équipe somatique est présente dans chacune des cinq structures franciliennes, ainsi que du personnel dédié à l'accompagnement : « Un aide-soignant ou un infirmier accompagne un patient qui a besoin d'examens complémentaires ou d'une consultation de spécialiste ; c'est un ambassadeur qui transmet les informations et a un rôle d'anxiolytique pour le patient et le collègue », décrit le Dr Hallouche.
À l'Établissement public de santé de Ville-Évrard, le Dr Wanda Yekhlef, généraliste de formation, entrée en 1994, a participé à la mise en place du département de Soins somatiques, Préventions, Santé publique, dont elle est aujourd'hui responsable. Soit 13 médecins généralistes qui examinent à leur entrée chaque patient. « Il faut souvent tout reprendre : l'hospitalisation correspond à une phase aiguë, une décompensation, souvent précédée par une période où le suivi somatique a été abandonné », explique le Dr Yekhlef, citant l'exemple d'un diabète déséquilibré. Parallèlement aux soins, c'est l'occasion de faire de la prévention (addictions, pratiques sexuelles, activités sportives).
Les médecins somaticiens préparent aussi la sortie d'hospitalisation, et l'adressage au médecin traitant. Avec cette originalité qu'ils sont référents des 15 secteurs de psy adulte et 3 intersecteurs de pédopsychiatrie, et assurent des consultations en ambulatoire (1/3 de leurs patients).
Chartes et recommandations
Cette expérience s’intègre dans la mise en œuvre de la charte de partenariat médecine générale et psychiatrie de secteur, signée en mars 2014 par le collège de la médecine générale et la Conférence nationale des présidents de CME de centres hospitaliers spécialisés. « Nous avons travaillé sur les attentes des deux disciplines pour les rapprocher », explique le Dr Yekhlef. Résultat, huit principes, aujourd'hui expérimentés au sein de six sites pilotes en France dont deux à Ville-Évrard.
D'autres textes visent une meilleure prise en charge des soins somatiques en santé mentale, comme les recommandations de la fédération française de psychiatrie - conseil national professionnel de psychiatrie, de juin 2015 (qui a reçu le label HAS). De nouvelles recommandations pour améliorer la coordination entre généralistes et équipes de psychiatrie, devraient voir le jour à la fin du premier trimestre 2018 tout comme des recommandations sur l'évaluation et la prise en charge de la douleur en santé mentale (voir ci contre).
Reste désormais à assurer la traduction concrète sur tout le territoire de cette prise en charge somatique et psychique des patients, pour qu'un suivi dans la cité ne soit pas synonyme d'abandon. Ceci, y compris dans les déserts médicaux.
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