Il est le premier à avoir posé une disponibilité pour s’essayer au privé. L’expérience lui a plu : il y a deux ans, le Dr Jean-Christophe Ha a abandonné son statut de praticien hospitalier, direction la clinique Saint-Martin. Son poste au CHU, pourtant, lui plaisait. « J’étais devenu un expert dans un domaine hyperspécialisé, la chirurgie rachidienne ».
Mais avec le temps, les lourdeurs hospitalières ont gâté son enthousiasme. « L’administration a imposé aux médecins un outil informatique très peu ergonomique. On nous a peu écoutés. Un CHU, c’est un énorme paquebot. Vous pouvez toujours sortir les rames, il y a peu de chance que vous influiez sur sa route ».
Sa nouvelle vie professionnelle, le Dr Ha ne l’idéalise pas. « Le privé n’est pas la panacée. Travailler pour un groupe a des contraintes ». Mais il a l’impression de ne plus être un numéro. « Le directeur de la clinique connaît mon nom. Je pèse davantage sur le choix du matériel ». Il a divisé son travail par deux et maintenu ses revenus. « À l’hôpital, que vous travailliez ou pas, vous êtes payé pareil. Il y a des iniquités au sein des équipes, des tolérances locales qui peuvent démotiver la venue de nouveaux praticiens ».
D’autres départs ont suivi celui du Dr Ha. Le Dr Philippe Sarrabay a pris la tangente cet automne, à peine son clinicat achevé. Direction la clinique Saint-Martin lui aussi. Après s’être beaucoup investi au CHU, il n’a pas voulu devenir PH et « rentrer dans le rang ». Avec des gardes mal payées, une carrière linéaire, et tout ce temps perdu entre chaque opération, une attente qui tape sur les nerfs. « Le CHU perd ses chefs de clinique. Un gâchis ». Les frissons des vols en hélicoptère, pour aller poser en pleine nuit une assistance circulatoire à Agen, sont « gravés à vie » dans sa mémoire. Mais le Dr Sarrabay goûte aujourd’hui la satisfaction de répéter des gestes simples. « Je n’arrive plus le matin en me demandant quel patient va mourir sur table ». Il ne sait pas ce qu’il fera dans dix ans, et s’en réjouit. Détail qui n’en est pas un : il gagne bien mieux sa vie.
Fragilisé, le CHU a déployé un plan d’action
« Un anesthésiste gagne trois fois plus en clinique. Le CHU ne peut pas rivaliser », constate le chef du pôle anesthésie-réanimation du CHU de Bordeaux. Certaines démissions ont surpris le Pr François Sztark. Avec une dizaine de postes vacants en anesthésie, sur un total de 120, l’hôpital se devait de réagir. D’autant que ceux qui restent tirent la langue. « On travaille plus, on fait plus de gardes », note le Dr Catherine Fleureau (PH). Mobilité favorisée, suivi personnalisé des nouvelles recrues, entretien avec les internes – et les PH démissionnaires – afin de connaître les motivations de chacun... Le CHU a lancé un plan d’action fin 2012 pour freiner l’hémorragie. Dix anesthésistes partiront en retraite dans les cinq ans. « Les pires années sont à venir, mais ça va, on gère », tempère le Pr Sztark.
La rémunération des praticiens contractuels a été revue à la hausse. « Cela nous coûte 474 000 euros par an, expose Jean-Pierre Leroy, directeur des affaires médicales. Mais nous n’accordons pas le maximum autorisé par la loi, car le CHU est en déficit ».
Les efforts déployés retiendront-ils les jeunes ? Cet interne passé par la maternité du CHU – où manquent trois anesthésistes – se voyait exercer à l’hôpital. Son stage le fait hésiter. « L’organisation du bloc est catastrophique, dit-il. Un matin, en 5 heures de présence, j’ai fait une césarienne. Des PH font une conisation par heure, quand le privé en fait trois. Ces retards chroniques pourraient me pousser vers une clinique ».
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