L’ancienne patronne de l’AP-HP cartes sur table

Publié le 16/04/2009
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LE QUOTIDIEN - Vous sentez-vous concernée par le débat politique actuel sur les revenus des patrons ?

ROSE-MARIE VAN LERBERGHE - Bien sûr! Chaque jour, on nous parle de bonus, de stocks options et de parachutes dorés empochés sans lien aucun avec une quelconque performance, ce qui entretient l’agressivité sociale. Ce qui me choque, c’est le détournement d’un système qui rémunère des gens qui ont raté, ou, pire, qui ont mis à mal leur entreprise. Certains patrons ne semblent pas se rendre compte qu’ils prêtent le flanc à la critique. Je ne dis pas que tout le monde doit gagner la même chose, mais en période de crise, l’équité et la transparence sont très importantes. Les patrons sont généralement rémunérés par un fixe et une partie variable indexée sur les résultats. Ce système est dévoyé quand il n’y a pas de lien avec le succès. Pour autant, je ne suis pas sûre qu’il soit opportun de légiférer car la loi sur la transparence des rémunérations par exemple n’a pas conduit à leur modération mais au contraire à leur emballement par effet de comparaison. Il faut éviter deux écueils : la justification des abus, et la stigmatisation systématique des hauts revenus, importants pour l’attractivité des entreprises.

Quelle est la politique de rémunération à Korian, le groupe que vous dirigez aujourd’hui ?

Nous avons décidé, en 2009, de bloquer les salaires supérieurs à 70 000 euros par an : en pratique, ceux du comité de direction et le mien (ces salaires sont publics, ils figurent dans le rapport annuel du groupe). Les bonus sont fixés par le conseil de surveillance qui juge de la performance. Korian est une société cotée en bourse, très gourmande en capitaux pour créer et rénover les lits. Construire un lit en maison de retraite coûte 100 000 euros en province, et entre 150 000 et 180 000 euros à Paris. Nos actionnaires - des assureurs présents sur le long terme - assument la totalité de cet investissement, ce qui fait faire des économies à l’État (si nous ne faisions pas cet effort, il faudrait construire des maisons de retraite publiques). La Sécurité sociale participe au fonctionnement de nos maisons de retraite, pas à l’investissement. Par conséquent, je ne trouve pas choquant que mes actionnaires, qui concourent à l’intérêt général, soient rémunérés. Ils le sont à hauteur de 2 % de leur mise. 2 % c’est moins que la Caisse d’Épargne. Une quinzaine de millions d’euros seront redistribués pour l’année 2008.

Vous prônez la transparence. Vos revenus, à l’époque où vous dirigiez l’AP-HP, étaient-ils connus de tous ?

Mon salaire a été livré en pâture au Canard enchaîné : j’ai très mal vécu cette mise en cause de ma rémunération, au regard de ceux qui, peut-être, gagnaient moins, mais qui, sans doute, n’apportaient pas la même contribution. Il aurait dû y avoir une saine transparence dès le départ. Je venais d’Altedia, où j’avais une bonne rémunération, un CDI, des garanties en cas de départ imposé, et j’ai accepté un CDD renouvelable chaque semaine, puisque je pouvais être virée tous les mercredis. Je pense que je méritais mon salaire, qui a été déterminé par le gouvernement. Je n’aurais pas trouvé choquant qu’il soit connu d’emblée, mais ce n’était pas à moi de l’annoncer. Les pouvoirs publics considéraient qu’il ne fallait pas le dire, la suite ne leur a pas donné raison. Tout cela est malsain. Je suis beaucoup plus à l’aise aujourd’hui, où mon salaire - à la fois le fixe, le bonus, et les stocks options - est mis sur la place publique. Je trouve cela normal, car je pense le mériter.

Pour avoir travaillé dans les deux secteurs, partagez-vous l’idée reçue selon laquelle le privé rémunère mieux que le public dans le champ de la santé ?

Non, on ne peut pas en faire une généralité. Étant repassée du public au privé, je m’aperçois que je peine aujourd’hui à recruter des directeurs d’hôpital parce que je n’arrive pas à suivre en terme de salaire. Dans le public, les salaires paraissent sinon faibles, disons modérés. Mais il faut tenir compte de la rémunération globale, et donc des avantages en nature. Les directeurs d’hôpital à Paris sont logés dans les beaux quartiers. Il faut relativiser les choses.

Un patron de CHU est-il assez payé à vos yeux ?

Sa rémunération est trop peu fonction de ses responsabilités, elle est principalement fonction de son grade et de son ancienneté dans la fonction publique. C’est un vrai problème. Il n’y a pas assez de différence entre celui qui a la responsabilité d’un CHU, et celui, de même grade, planqué dans un placard. Le maquis des règles de la fonction publique conduit à des aberrations. Je me souviens, quand je suis arrivée à l’AP-HP, d’un directeur qui avait conservé sa prime de responsabilité, et qui, pourtant, avait été mis de côté pour incompétence. J’espère que tout cela va changer avec la loi HPST. À l’hôpital, les habitudes ne remettent pas assez en cause les avantages acquis. Le jour où un directeur n’est plus en fonction de responsabilité, il ne devrait plus gagner autant. À l’inverse, certains directeurs de grande qualité devraient être payés correctement, autrement dit plus qu’aujourd’hui.

Et que penser des avantages en nature accordés aux directeurs d’hôpital, un maquis opaque qui, parfois, donne lieu à des débordements ? Le patron du CHU de Caen a démissionné après avoir engagé plus de 800 000 euros pour rénover son logement de fonction.

Les scandales sont partout! Être logé, pour un directeur de CHU, ne me choque pas du tout. On est sur la brèche 24h/24. Certains avantages en nature sont parfaitement justifiés par les nécessités de service. Mais comme toujours dans l’administration, ce qui est parfois justifié devient un droit pour d’autres qui le méritent beaucoup moins. Ces avantages, comme la rémunération, ne sont pas assez discriminants. C’est le problème du statut de la fonction publique. La contrepartie de la garantie de l’emploi devrait être la mobilité, or ce n’est pas beaucoup le cas à l’hôpital. On ne peut pas traiter le responsable de haut niveau comme l’infirmière de base qui doit être davantage protégée. Ce ne serait pas choquant de s’inspirer du privé, avec des primes importantes, mais il faut que ces primes soient réversibles. Ce n’est pas le code de la fonction publique qui l’interdit, mais le poids des habitudes, le manque de courage politique, aussi. On a nommé quelqu’un quelque part, qui ne fait pas l’affaire, et bien souvent, on n’a pas le courage de le rétrograder. Il faudrait que cela change.

 PROPOS RECUEILLIS PAR DELPHINE CHARDON

Source : lequotidiendumedecin.fr