« LA LOI LEONETTI, votée en avril 2005, est malheureusement connue grâce ou à cause de sporadiques et tapageurs étalements médiatiques, souvent orchestrés par les partisans de l’euthanasie, à l’occasion de drames humains surexploités. » C’est par ce constat que le Dr Bernard Abry commence son témoignage, sous le titre « Pour un dialogue du respect entre les hommes soignants et les hommes soignés ». Le Pôle santé* a choisi de lui donner la parole, constatant, dans de nombreuses affaires liées aux fins de vie, un déficit de connaissance de la loi, source d’incompréhensions et de conflits (lire encadré). « Dans la vraie vie, déplore le chef du service de réanimation en chirurgie cardiaque de l’Institut Jacques-Cartier, à Massy (Essonne), j’évalue à 10 % la proportion des infirmières qui connaissent la loi relative aux droits des patients en fin de vie. Les médecins devraient être autour de 60 % dans ce cas, explique-t-il au « Quotidien ». Quant au public, la situation est déplorable. Encore ce matin, j’ai rencontré une pauvre femme qui avait été désignée comme personne de confiance, sans rien comprendre de son rôle, qu’elle confond, comme beaucoup, avec celui de la personne devant être prévenue en cas d’événement. »
Sensibilisation.
C’est à la fois pour rectifier les désinformations et assurer une formation sur le plan technique et humain que cet ancien de Broussais (service du Pr Carpentier) s’est lancé en 2007, à Jacques-Cartier, dans une mission de sensibilisation, en créant un comité d’éthique d’établissement. Chaque année, il convie les personnels soignants et médicaux à des réunions. « J’expose le contenu de la loi, précise-t-il, qui accorde des droits spécifiques aux patients en fin de vie sans pour autant légaliser l’euthanasie. La loi laisse, par ses ambiguités, une place à la conscience morale ; sa connaissance ne devrait pas être le privilège des unités spécialisées en fin de vie, mais elle devrait être étendue à l’ensemble des praticiens et des soignants, ainsi qu’aux familles, puisque la fin de vie, totalement médicalisée, d’une affaire de famille est devenue une affaire de l’État. »
Dans ces réunions, le Dr Abry explique le rôle dévolu à la personne de confiance et détaille en quoi consistent les directives anticipées. Mais, chaque fois, il s’étonne : « Si les infirmières répondent présent en grand nombre, les médecins sont sous-représentés. Non qu’ils se sentent suffisamment informés sur le sujet. Mais ils supportent encore le poids d’une longue tradition issue des années d’euthanasie plus ou moins passive, pratiquée dans le silence de bien des services. Un peu comme à l’époque du Pr Milliez et de la lutte pour la médicalisation des avortements, un tabou persiste parmi beaucoup d’entre eux, une espèce d’omerta justifiée par le fait qu’il ne fallait surtout pas parler aux familles, ni faire confiance aux témoins. On reste en pleine catharsis. Pour beaucoup, le législateur aurait même mieux fait de ne pas se mêler de la question, tellement la réticence est forte, elle relève presque du blocage psychiatrique. »
« Alors, on meurt dans les établissements hospitaliers dans une surenchère de moyens techniques, constate le Dr Abry, qui estime que la situation n’est pas différente que l’on soit dans un établissement privé ou un hôpital public. Or, proteste-t-il, le malade n’est pas une maladie, mais un être souffrant d’une maladie dans un contexte familial, social, traditionnel, philosophique et parfois religieux. Un contexte où il faut se poser la question : doit-on nécessairement faire ce que l’on sait faire ? »
En posant ces questions, l’anesthésiste-réanimateur se garde de tout esprit polémique. « J’interviens juste pour lancer une alerte sur un sujet qui, le jour venu, nous concernera tous. Et tant mieux, lance-t-il, si après mon témoignage, le débat s’instaure enfin. De rebonds en rebonds, on ne se souviendra pas du nom du praticien de terrain qui a rédigé un premier témoignage. » Un praticien qui revendique seulement, à 60 ans, ses années d’expérience médicale, acquise en dehors de toute obédience, ne revendiquant d’appartenance qu’à la SFAR, la Société française des anesthésistes-réanimateurs, dont il est « membre de base ».
Contact : bernard.abry@wanadoo.fr
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