Marseille

Le successeur de Didier Raoult à la tête de l'IHU peut-il tourner la page ?

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Publié le 02/09/2022
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Nouveau directeur de l’IHU Méditerranée Infection à Marseille, le Pr Pierre-Édouard Fournier prend ses fonctions début septembre. La nomination de ce médecin biologiste issu du sérail de l'IHU, pour succéder au très controversé Pr Raoult, permettra-t-elle à l’institut de recherche de changer de cap ? Les avis sont partagés.

Raoult

Le 13 juillet, à l’annonce de la nomination de son remplaçant à la tête de l’IHU Méditerranée Infection qu’il a fondé en 2011, le Pr Didier Raoult tweete avec un brin d'arrogance : « Échec et mat. » Parmi les cinq candidats en lice pour lui succéder, le conseil d’administration de l'institut marseillais a choisi le Pr Pierre-Édouard Fournier, dont il fut le mentor et le directeur de thèse. C'est donc un pur produit de l'IHU qui a emporté le morceau. 

Ce PU-PH des Hôpitaux universitaires de Marseille (AP-HM), âgé de 56 ans, chef d’équipe au sein du laboratoire Vitrome à l’IHU, a pris ses fonctions le 1er septembre. Le processus de recrutement piloté par Louis Schweitzer, ex-PDG de Renault, aura duré près de huit mois pour trouver à remplacer Didier Raoult, figure ultramédiatique de la pandémie, promoteur d'un traitement du Covid à base d'hydroxychloroquine sans validation scientifique.

Assentiment prudent des partenaires

« J’aurais trouvé bien que l’IHU puisse attirer une grande personnalité internationale, confie François Crémieux, directeur général de l’AP-HM, l’un des six membres fondateurs. On a tout fait pour ». « La seule question qui m’importe est de savoir si on a fait le bon choix pour l’avenir de l’IHU, ajoute-t-il. Ma conviction est que oui. »

Le patron de l'AP-HM a pris acte du départ de Yolande Obadia, présidente de l’IHU, qu’il jugeait également nécessaire pour tourner la page Raoult. Au-delà des apparences, rappelle-t-il, « c’est d’abord un bâtiment où travaillent 800 professionnels, dont 400 de l’Assistance publique ». Une nouvelle convention entre les deux institutions doit être adoptée. François Crémieux espère aussi que ce changement de direction incitera l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) à revenir autour de la table. Quant à Valérie Verdier, PDG de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), qui avait menacé de se retirer, elle ne souhaite pas commenter cette succession pour le moment.

Retour à une éthique scientifique irréprochable

Pour impulser un vrai changement de cap, ce choix interne risque de faire débat durablement, même si les qualités de ce spécialiste reconnu des maladies infectieuses sont saluées. « Le Pr Fournier a joué un rôle majeur sur les questions de dépistage, de séquençage et de suivi épidémiologique tout au long de la crise », témoigne à cet égard François Crémieux, avant cette mise en garde : « Je ne crois pas qu’un homme seul puisse rétablir la situation et la sérénité. »

Sollicité par « Le Quotidien », le Pr Fournier ne souhaite pas s’exprimer. Mais d’après le communiqué de l’AP-HM, le nouveau directeur s’est engagé « à mettre en œuvre les recommandations des rapports d’inspection récents et en cours ». Fin avril, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) avait annoncé avoir saisi la procureure de la République pour des faits pénalement répréhensibles. Les priorités demeurent « un retour à un management et une éthique scientifique irréprochables », recadre l'AP-HM. 

Brillant et diplomate 

D’un point de vue symbolique, la signature du Pr Fournier en janvier de l’appel des médecins des Hôpitaux de Marseille en faveur de la vaccination, a été remarquée. Trois mois plus tôt, le médecin microbiologiste figurait encore à côté du Pr Raoult dans une vidéo publiée sur la chaîne YouTube de l’IHU… 

« C’est un homme de très grande qualité, brillant et extrêmement diplomate », affirme le Pr Jean-Luc Jouve, président de la CME de l’AP-HM, qui travaille avec le Pr Fournier, infectiologue référent de son service de chirurgie orthopédique pédiatrique, depuis vingt ans. Contrairement à d'autres, lui était plutôt favorable à une candidature interne afin de ne pas « casser » l'outil IHU sur le plan médical. « Je suis certain que le Pr Fournier va permettre de remettre l'IHU sur des rails réglementaires, tout en permettant à la structure de fonctionner en tant que service de maladies infectieuses, avec ses 75 lits, ses laboratoires de recherches et d'analyse indispensables ». 

Feu vert des politiques Rubirola et Muselier 

« L'IHU est un pôle d’excellence et de compétitivité, il fallait une personnalité de combattant comme le Pr Raoult pour le créer », analyse l'écologiste Michèle Rubirola, première adjointe au maire de Marseille. Avant que le Pr Fournier apparaisse dans la short-list des successeurs possibles du médiatique infectiologue, elle ne le connaissait pas. « Je lui fais confiance », lance la généraliste. « Les compétences scientifiques de M. Fournier sont indéniables. Ce choix est parfaitement raisonnable et tire l’IHU vers le haut », abonde Renaud Muselier, président de la région PACA, lui aussi médecin de profession, qui siège au conseil d’administration en tant que personnalité qualifiée. 

Mais d'autres voix sont extrêmement critiques. Secrétaire général du syndicat CGT de l’université d’Aix-Marseille, Cédric Bottero souligne que le nouveau directeur « est un pur produit de l’IHU qui ne s’est jamais élevé contre les pratiques managériales, ni contre les différents manquements à la probité scientifique et médicale ». Le syndicat signale aussi que le Pr Fournier a été cité comme témoin de la défense dans le procès d’Éric Ghigo, condamné le 4 juillet par le tribunal correctionnel de Marseille à 18 mois de prison dont six fermes pour agression sexuelle, harcèlement moral et sexuel sur une ingénieure et une étudiante de l’IHU.  

Retraité contraint et forcé de l’AP-HM depuis un an, le Pr Raoult reste professeur émérite de l’université d’Aix-Marseille. Gardera-t-il un bureau à l’IHU ? « Je n’en sais rien, lâche François Crémieux. Pierre-Édouard Fournier doit pouvoir travailler sans l’ombre de son prédécesseur au-dessus de sa tête ». 

De notre correspondante Natacha Gorwitz

Source : Le Quotidien du médecin