Quelles leçons peut-on tirer de la gestion, en France, de l’épidémie de maladie à virus Ebola en Afrique de l’Ouest ?
« À mon avis, il sera essentiel d’organsiner un grand retour d’expérience et de voir ce qui a bien fonctionné mais aussi les problèmes mis en lumière à cette occasion. Ces dernières années, nous avons été confrontés à différentes alertes (bioterrorisme, SRAS, H5N1, coronavirus…) mais on a le sentiment que, à chaque fois que l’alerte est passée et que la pression politique et médiatique retombe, on passe à autre chose. Et que, la fois suivante, on repart un peu de zéro », souligne le Pr Christian Rabaud, président de la fédération française d’infectiologie et chef du service des maladies infectieuses du CHU de Nancy.
Déclarée officiellement en mars 2014, l’épidémie de maladie à virus Ebola est restée limitée durant plusieurs semaines à l’Afrique de l’Ouest, avec principalement trois pays touchés : la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone. À partir de l’été, plusieurs pays du Nord ont été confrontés au rapatriement et à la prise en charge de quelques-unes de leurs ressortissants contaminés en Afrique de l’Ouest. « Assez vite, on a réalisé que le risque de voir une épidémie se développer sur le sol français était très faible. Mais, de manière logique, on s’est organisé pour gérer le cas de ressortissants français contaminés à l’étranger ou celui d’un cas isolé d’une personne déclarant l’infection une fois sur le sol français », indique le Pr Rabaud.
Établissements de santé de référence habilités
Diverses recommandations ont été émises par le Haut conseil de la santé publique. Et de manière logique, le ministère de la Santé a décidé de s’appuyer sur les établissements de santé de référence (ESR) pour prendre en charge les patients touchés par le virus Ebola. Destinés à faire face à des situations sanitaires exceptionnelles, les ESR ont été mis en place par un arrêté du 30 décembre 2005. Leur désignation s’est faite en tenant compte des zones de défense et de sécurité. Pour pouvoir accueillir des patients Ebola, les ESR ont dû être habilités et se transformer en établissements de santé de référence habilités (ESRH). En septembre 2014, on en recensait ainsi 12 pour la prise en charge des cas possibles ou confirmés de maladie à virus Ebola : CHU de Lille (zone de défense Nord), CHU de Rennes et de Rouen (zone ouest), hôpitaux Necker, Bichat, Bégin (zone Paris), hôpital Nord de Marseille (zone sud), groupement hospitalier Nord, hôpital de la Croix-Rousse de Lyon (zone sud-est), CHU de Bordeaux (zone sud ouest), CHU de Strasbourg et de Nancy (zone Est), CH de la Réunion (zone Océan Indien).
Le passage du statut d’ESR à celui d’ESRH ne s’est pas fait de manière automatique sur tous les sites. « Par exemple à Nancy, il nous a fallu un mois pour activer les infrastructures, mettre jour toutes les procédures, informer et former les équipes afin de pouvoir accueillir d’éventuels patients cas possibles ou confirmées de maladie à virus Ebola avec toute la sécurité nécessaire pour les personnels hospitaliers », indique le Pr Rabaud.
Protéger le personnel
Face à la menace Ebola, le niveau d’exigence imposé aux ESR, a en effet été très élevé. « En tant qu’ESR, nous étions en capacité d’accueillir de manière immédiate des infections à transmission respiratoire de type SRAS. Mais là, il fallait que le personnel soignant dispose d’équipements de protection individuelle (EPI) et sache les utiliser… Et on a pu se rendre compte que cela n’était pas si simple à gérer. Tout d’abord, certains ESR ne disposaient pas de ces EPI et le personnel ne savait donc pas les utiliser. Au quotidien, nous nous servons d’appareils de protection respiratoire FFP2. Nous savons aussi mettre des surblouses, des surbottes. Mais les EPI recommandés ici – combinaisons intégrales, lunettes ad hoc – c’est autre chose. Ces tenues sont davantage utilisées en cas d’exposition au risque ou aux attaques chimiques. Et il faut un certain niveau d’apprentissage dans leur maniement », souligne le Pr Rabaud.
Les trois cas de contamination de soignantes aux États-Unis et en Espagne ont, sur le moment, fait aussi monter la tension dans les services de maladies infectieuses des ESRH. « Ce qui s’est passé à Madrid et à Dallas a montré que, même des établissements de pays favorisés n’étaient pas à l’abri de faire des erreurs dans la prise en charge des patients atteints de maladie à virus Ebola. Et la contamination de ces soignants a suscité une réelle angoisse chez bon nombre des nôtres, qui constataient ces infections en dépit du recours à des tenues de protection. On a assisté à des choses que, d’ordinaire, on ne voit jamais en infectiologie, comme certaines demandes de droit de retrait. Il nous a donc fallu faire un gros travail de gestion des ressources humaines pour rassurer les personnels et leur donner la certitude que tout avait été mis en place pour assurer leur sécurité », indique le Pr Rabaud.
Deux cas en France
Finalement, la France n’a eu à gérer que deux cas confirmés d’Ebola, tous les deux orientés vers l’hôpital militaire Bégin. Il s’agissait de l’infirmière de médecins sans frontières et d’un travailleur des Nations Unies. « Dans les deux cas, nous avons été confrontés à des personnes contaminées en Afrique de l’ouest et dont il a fallu gérer le rapatriement puis la prise en charge. Ces deux cas, qui ont connu une évolution favorable, ont nécessité une hospitalisation de 17 et 21 jours avec une mobilisation très forte des équipes médicales et soignantes de Bégin », indique le Pr Rabaud (lire page suivante). Pour le reste, les ESRH ont dû gérer environ 25 cas possibles de patients, présentant de signes cliniques à leur retour d’une zone touchée. « Ces patients ont été hospitalisés entre 24 et 72 heures, le temps de faire les examens biologiques qui, tous, ont permis d’exclure l’infection ».
Le Pr Rabaud insiste sur la nécessité de tirer les leçons de cette crise sanitaire même si celle-ci n’aura été que très limitée sur le sol français. « On a pu constater toute la difficulté de répondre de manière très rapide aux exigences particulièrement élevées quant au niveau de préparation, de protection et d’opérationnalité ».
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