Pr Rémi Salomon (AP-HP) : « Si nous ne parvenons plus à faire de la recherche en CHU, nous sommes morts »

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Publié le 10/01/2024
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Chef du service de néphrologie pédiatrique à Necker-Enfants malades, le Pr Rémi Salomon a été réélu le 9 janvier à la tête de la conférence médicale d’établissement (CME) de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) à une voix près, contre son rival, le Pr Yann Parc, chirurgien digestif à Saint-Antoine. Réaction de l’intéressé et feuille de route de son deuxième mandat.

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LE QUOTIDIEN : Vous avez été réélu avec une voix d’avance sur votre concurrent Yann Parc (44 voix contre 43). Comment expliquez-vous ce résultat ?

Rémi Salomon : À la CME de l’AP-HP, une tradition très ancienne qui remonte aux années 1970 veut que l’on alterne à sa tête médecins et chirurgiens. Un certain nombre de personnes y sont attachées. Dans les années 1960, les présidents de CME ont été élus pour deux mandats de suite. Dans les années 1990, un président de CME s’était représenté pour un deuxième mandat et s’est fait battre. De plus, mon concurrent très soutenu par le Pr Bernard Granger [psychiatre à Cochin, NDLR] a mené une bonne campagne. C’est la seule CME en France à tenir cette tradition.

Mon argument était plutôt la continuité, car pour cette fonction très complexe, un mandat de quatre ans est assez court. D’autant que la pandémie en a bien bousculé la première partie. Il faut aussi du temps pour bien comprendre le mandat afin de devenir plus efficace. D’ailleurs, je constate en tant que président de la conférence des présidents de CME de CHU que la plupart de mes collègues de CME en province sont candidats pour un second mandat.

J’ai aussi changé les traditions en me faisant élire président de la conférence des présidents de CME de CHU en janvier 2022, même si Paris et l’AP-HP n’étaient pas jugés représentatifs de l’ensemble de ces établissements. L’ensemble de la communauté hospitalière étant très hétérogène, je fais en sorte de tenir compte de toutes ces différences dans mon dialogue avec les autres présidents de CME.

Quelles sont les priorités de votre second mandat à l’AP-HP ?

Rémi Salomon : La principale et la plus urgente question reste la réouverture des lits, avec de grosses difficultés de recrutement et de fidélisation de personnels paramédicaux, notamment infirmiers, Ibode, manipulateurs de laboratoires, techniciens de laboratoires de biologie. La CME travaille avec la direction générale de l’AP-HP pour créer des conditions de travail, d’accueil, via la formation initiale et continue des paramédicaux et pour leur donner des perspectives de carrières.

Il est souvent reproché à l’AP-HP d’être un établissement grand et impersonnel, d’où l’importance pour chaque équipe de créer des conditions qui donnent envie aux jeunes étudiants d’y être embauchés et surtout d’y rester. Nous devons aussi être en mesure d’accueillir favorablement les jeunes médecins pour lesquels il y a aussi des problèmes d’attractivité et qui n’ont plus le même rapport au travail que nos générations. Nous avons d’ailleurs abordé cette problématique lors des assises nationales des hospitalo-universitaires.

Les disciplines ayant des contraintes de travail fortes ont plus de mal à recruter. Nous allons créer une commission « carrières » qui permettra de traiter les questions du temps de travail, de l’exercice en équipe, de la diversification des parcours professionnels via la formation continue. Sur ce sujet, il existe une attente forte des jeunes.

Quelles sont les disciplines médicales les plus en tension au sein de l’AP-HP ?

Rémi Salomon : Ce sont la gériatrie, la psychiatrie, la pédiatrie. En chirurgie, nous avons une forte concurrence avec le privé, qui propose des rémunérations beaucoup plus avantageuses et de meilleures conditions quant au temps de travail, notamment pour l’anesthésie-réanimation, la cardiologie.

Il existe aussi une grande inquiétude sur les pharmaciens hospitaliers, sur les biologistes et les anatomopathologistes. Quand pour ces professions, on gagne deux fois plus en traversant la rue pour aller dans une structure privée, cela devient difficile.

L’intérêt du métier spécifique au CHU réside dans le fait de voir des patients plus intéressants, d’être moins dans la routine, et de faire de la recherche, tout cela doit être maintenu en créant des conditions favorables de travail et en nous organisant mieux en équipe. C’est ce qui permettra pour ceux qui le veulent de consacrer plus de temps à la recherche.

Par exemple, nous demandons des efforts considérables aux jeunes praticiens qui sont en début de carrière hospitalière, qui pratiquent beaucoup de soins, en leur demandant de faire de l’enseignement et en même temps d’écrire de très bons papiers de recherche. Mais cette génération refuse de travailler comme nous qui avons sacrifié notre vie privée en consacrant au travail nos soirées et nos week-ends.

La réforme de leur dispositif de retraite qui reste une anomalie doit être menée jusqu’au bout. Bref, si nous ne parvenons plus à faire de la recherche en CHU, nous sommes morts. Autre point négatif qui doit absolument être amélioré, l’informatique qui reste un point de friction, est essentielle pour les praticiens hospitaliers. Un investissement bien plus important que celui réalisé dans les autres pays européens serait nécessaire.

Quelles sont les autres priorités de votre mandat ?

Rémi Salomon : Le CHU doit être beaucoup plus présent dans les territoires pour améliorer l’accès aux soins et mieux coordonner l’hôpital et la ville. D’abord il faut regarder la répartition des moyens dédiés aux 39 établissements de l’AP-HP en région Île-de-France.

La question des inégalités entre établissements est délicate, car à l’AP-HP il existe un découpage en groupements hospitaliers universitaires (GHU) qui donne une certaine autonomie dans la gestion des budgets. Il est donc difficile de prendre à Pierre pour rhabiller Jacques. En tout cas, il est important d’avoir un regard attentif sur les différents besoins et comment on répartit l’offre sur nos territoires.

Conséquence, afin d’avoir une politique stratégique sur le long terme et avoir une vue d’ensemble, nous devons réfléchir avec tous les autres hôpitaux de la région, publics et privés, en coordination avec l’agence régionale de santé et les CME des centres hospitaliers d’Île-de-France. Ce que nous avons déjà commencé à faire dans le précédent mandat.

Enfin, les jeunes sont beaucoup installés en équipes pluriprofessionnelles dans les maisons et centres de santé. C’est la raison pour laquelle nous souhaiterions donner la possibilité de faire collaborer plus étroitement les équipes de la ville et de l’hôpital. Celles-ci doivent apprendre à mieux se connaître pour mener ensemble des projets médicaux, faire de la recherche et de l’enseignement, toujours dans une logique de diversification des parcours. Dans ce cadre, il nous faut aussi promouvoir la prévention et la recherche en soins primaires.


Propos recueillis par Arnaud Janin

Source : lequotidiendumedecin.fr