LE QUOTIDIEN : La Fnehad fête ses 50 ans en ce mois de décembre. Quels ont été les moments forts de son histoire ?
ÉLISABETH HUBERT : Depuis 1973, la Fnehad fédère une quarantaine d’établissements publics et associatifs — le premier établissement d’hospitalisation à domicile (HAD) date de 1957 — afin de porter un projet commun, trois ans après la reconnaissance légale de l’HAD.
Parmi les étapes marquantes de notre histoire figure la mention de l’HAD comme alternative à part entière de l’hospitalisation conventionnelle dans la loi hospitalière de juillet 1991 et la suppression du taux de change en 2003 (qui limitait la création de places d’HAD à une substitution en fonction de la suppression de lits, NDLR).
Deux ans plus tard, la tarification à l'acte (T2A) entre en vigueur. Elle s'applique d'emblée à l’ensemble de notre activité, quel que soit le statut de l’établissement. Cette stratégie visionnaire explique la force qui est la nôtre et qui réside dans l’absence de différence de traitement entre public, privé et associatif *.
Autre avancée : la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) de 2009 définit les établissements d’HAD comme établissements de santé et reconnaît la Fnehad comme fédération représentative.
Je citerai également la circulaire de décembre 2006 qui détaille notre mode d’organisation et celle de décembre 2013 qui introduit des indicateurs d’objectifs d’activité, avec par exemple 35 patients pris en charge chaque jour pour 100 000 habitants.
Je terminerai par la publication de la feuille de route de l’HAD en décembre 2021, l’introduction d’autorisations spécialisées en janvier 2022 (pour l’obstétrique, l’ante et le post-partum, les enfants de moins de trois ans et la rééducation) et la reconnaissance de l’HAD comme une activité à part entière, indépendamment des activités de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) en juin 2023.
Que faut-il vous souhaiter pour l’avenir ?
Sortons collectivement de l'hospitalocentrisme, cette vision si française qui nous limite ! La chirurgie ambulatoire stagne, le recours aux urgences demeure élevé. Nous devons amener l’ensemble des acteurs à chercher de nouvelles organisations et à interroger l’usage de l’hébergement hospitalier. Nous sommes aujourd'hui connus et reconnus : en 2021, les 282 structures autorisées à exercer en HAD ont assuré près de 250 000 séjours — + 4,3 % en un an —, ce qui représente 6,8 millions de journées.
Quant aux enjeux qui nous sont propres, j’en citerai trois : l’innovation de très grande ampleur ; la préservation des fondements majeurs de l’humanité, c’est-à-dire la qualité de la relation à l’individu ; l’attention portée aux proches aidants.
Diriez-vous que le virage ambulatoire est devenu réalité ?
Malheureusement, non. Pendant la crise sanitaire, nous avons été très vite considérés comme des partenaires essentiels aux niveaux national et régional. Puis, fin 2022, comme des pompiers au moment où l’hôpital a cumulé pénurie de personnels et épidémies hivernales. Nous avons répondu à ces urgences avec force : notre activité a progressé de 12 % pour le seul mois de décembre.
Mais la souplesse que nous avons connue pendant ces deux années a malheureusement cédé la place au repli sur soi.
Pourtant, nous savons assurer des prises en charge de plus en plus complexes. Nous portons par exemple avec Unicancer le développement de chimiothérapies injectables à domicile. Or cela ne représente qu’un faible pourcentage de notre activité parce que l’hospitalisation de jour (HDJ) est plus rémunératrice pour les établissements. En plus d’être inconfortable pour les patients, l’HDJ présente un coût journalier d’environ 475 euros, sans compter le transport sanitaire de l’ordre de 120 euros, contre 250 euros pour l’HAD. Dans notre système de santé, la force de l’habitude et le frein au changement me sidèrent.
Comment envisagez-vous le travail avec les médecins et les paramédicaux libéraux ?
Nous travaillons en très bonne intelligence. Nous sommes à la fois des facilitateurs pour pousser l’hôpital à une vision différente de la ville et du domicile et des alliés pour encourager la montée en compétences des professionnels libéraux et hospitaliers. J’ai aussi souhaité que les établissements d’HAD puissent faire appel aux infirmiers de ville auxquels sont habitués les patients. Nous travaillons de la même manière avec les pharmaciens et les kinésithérapeutes en dehors des établissements. La trajectoire des patients s’inscrit dans un continuum. De ce point de vue, l’émergence des filières, certes encore trop timide, est un atout.
Vous et les autres fédérations (FHF, FHP, Fehap, Unicancer) avez alerté à plusieurs reprises le gouvernement sur l’absence de pluriannualité du financement et le manque de moyens pour compenser l’inflation. Quelle est votre situation budgétaire ?
La pluriannualité a existé entre 2020 et 2022. On nous la promet pour 2025. Mais nous n'avons aucune visibilité pour 2023 et 2024. Nous n'acceptons pas de fonctionner de manière erratique. Quant à l’inflation, si les mesures « carburant » nous ont aidés, nous avons en revanche subi l’augmentation des prix des dispositifs médicaux et surtout des médicaments.
En 2021, nous avons mal vécu la révision de la liste en sus (dispositif dérogatoire de financement qui permet à l'Assurance-maladie de prendre en charge le coût des molécules innovantes, NDLR) sans analyse de l’impact pour l’HAD.
Par le passé, le prix des médicaments figurant sur cette liste baissait au fil du temps mais aujourd’hui, ils restent onéreux car ils s’adressent à des cohortes de patients plus limitées du fait de thérapeutiques de plus en plus personnalisées.
L’an dernier, l’application du coefficient prudentiel a aussi été un coup bas dans la mesure où cette retenue financière annuelle se heurte à l’objectif de développement de l’HAD.
Si la situation budgétaire de nos établissements est globalement correcte, nous avons besoin de faire évoluer nos financements compte tenu de l’extension de nos champs d’intervention (la rééducation par exemple) et des besoins des patients.
Rencontrez-vous des difficultés de recrutement ?
Nous sommes confrontés au besoin de changement de vie des professionnels de santé. Comme l'ensemble du monde de la santé, nous subissons les effets du manque de médecins. Cela étant précisé, nous recrutons beaucoup d’infirmières hospitalières, séduites par l’initiative, l’autonomie, le temps et la proximité avec les patients que notre secteur leur offre. Mais d’autres nous quittent pour le libéral.
Une autre difficulté, fortement ressentie chez les aides-soignantes, concerne les horaires coupés (ou travail discontinu, NDLR). Par ailleurs, les rémunérations du public sont devenues plus attractives. Nous avons donc consenti à des augmentations salariales, non compensées. Nous échangerons sur ce sujet le 6 décembre, lors des prochaines universités d'hiver de l'HAD.
Vous appelez à dépasser les statuts salarié-libéral, public-privé, sanitaire-médico-social. Comment ?
L’ensemble des professionnels et établissements de santé doivent être en mesure de participer aux missions de service public. C’est ce qui permettra au virage ambulatoire de devenir réalité. En exhortant à davantage de coopérations public-privé et au développement de rémunérations dédiées à ces missions, la Cour des comptes ne dit pas autre chose.
Nous devons aussi réfléchir à l’avenir du médico-social. Ce modèle hybride n’a pas trouvé sa place. Dans les Ehpad, il faut cesser de demander aux professionnels de l’hébergement, de la restauration et de l’animation d’assurer le volet sanitaire. Une chambre d’Ehpad est un domicile. Pourquoi ne pas faire appel aux infirmières libérales pour les soins légers et à l’HAD quand la situation l’exige ?
Quelle sera la place de la santé numérique dans l’HAD de demain ?
Nous devons nous saisir de toutes les potentialités du numérique et de l’intelligence artificielle (IA). Lorsqu’un domicile est isolé, nous mettons en place des pompes connectées, de la téléconsultation, etc. Demain, l’enjeu sera de faciliter la communication en temps réel avec les médecins et l’ensemble de nos partenaires, et de mieux cibler les prises en charge grâce à l’IA.
Si nous avons été associés à l’ensemble des programmes gouvernementaux de la e-santé et du numérique, je constate que la maturité des établissements est très variable. Notre volonté est de ne pas ralentir ceux qui ont pris de l’avance et d’accompagner ceux qui ont pris du retard. Sachant que, malheureusement, l’interopérabilité n’est toujours pas pleinement mise en œuvre. Pour cela, nous avons clairement besoin de l'impulsion d'une politique nationale.
Article initialement publié le 8 novembre 2023.
* En 2021, le secteur privé à but non lucratif (dont les Espic) représente 40 % des établissements, le secteur public 38 % et le secteur privé commercial 22 %
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