Même si – en dernière minute – François Braun a relevé le plafond de 20 %, le ministre de la Santé veut aller au bout de la régulation des tarifs de l'intérim médical dont le contrôle strict sera appliqué à partir de lundi prochain. Les syndicats de PH, mais aussi la FHF, réclament que les économies soient réinvesties dans des mesures l'attractivité pour les praticiens en poste. Dans les hôpitaux, l'inquiétude demeure sur les risques de désorganisation.
S'il reste ferme sur l'objectif, François Braun a finalement accepté de lâcher un peu de lest sur le montant du plafond, face à la pression des milliers de praticiens qui pratiquent l'intérim. Ménageant son effet, une semaine avant l'entrée en vigueur de l'encadrement strict de la rémunération de ces remplaçants, le ministre de la Santé a annoncé lundi, lors d'un déplacement au CH d'Alençon dans l'Orne, un relèvement de 20 % de la limite initialement prévue.
Ainsi, au lieu des 1 170 euros maximum pour une garde de 24 heures, il a demandé à ses équipes de « travailler sur l’adaptation de ce tarif à la valeur de 2023 ». Au vu de l'inflation et des revalorisations accordées aux praticiens en poste, le nouveau plafond a donc été fixé à 1 390 euros. « En prenant en compte les frais de déplacement, plus les frais d’hébergement, plus les frais de voiture, c’est plus que raisonnable », a plaidé le ministre, déterminé à faire appliquer la loi sur ces bases.
« Cannibale »
Dès sa prise de fonction, François Braun n'avait pas mâché ses mots vis-à-vis de la pratique « cannibale » de l'intérim. La stratégie de l'ancien président de Samu-Urgences de France consiste à miser d'abord sur les praticiens en poste. Lundi, il a ainsi donné un coup de pouce supérieur à la prime de solidarité territoriale (PST) ouverte aux PH, qui en plus de leur travail habituel, « acceptent d’aller travailler dans un autre hôpital en difficulté ». Les ARS auront la possibilité d'augmenter cette prime de 30 %. « Cela veut dire que l’on peut aller jusqu’à 2 200 euros brut sur 24 heures pour quelqu’un qui accepte de travailler le week-end et 1 700 euros brut en semaine », a précisé le ministre. Selon lui, ces tarifs vont volontairement « au-delà de la valeur de l’intérim » pour donner envie aux médecins de rester ou de revenir durablement à l'hôpital.
Sur ce dossier, François Braun, qui dirigeait il y a quelques mois encore les urgences du CH de Metz joue gros et il le sait. « Ce sera par endroits difficile, cela pourra tanguer, mais j’ai la conviction qu’il ne faut pas lâcher », a-t-il affirmé, prémonitoire, lors de ses vœux aux forces vives, en janvier. Le Syndicat national des médecins remplaçants hospitaliers (SNMRH), vent debout contre tout plafonnement, a publié de son côté sur son site internet une liste de « 69 établissements et 107 services » à travers la France qui pourraient être amenés à fermer de façon « imminente ». Seraient concernés les CH de Bastia, Bourges, Lannion, Bergerac, Laval, Millau, Morlaix, Lens, Grasse, Blois, Digne, Manosque, Mayenne, Nevers ou encore Fécamp et même des services de CHU à Rouen, Saint-Étienne ou en Martinique. Selon ce même syndicat alarmiste, des « milliers de blocs opératoires » pourraient être déprogrammés – des « millions de patients » ne pouvant « plus être soignés dignement ».
Points chauds
Le ministère s'est bien gardé de révéler la cartographie des points chauds demandée aux ARS pour anticiper les risques de fermeture. De son côté, la Fédération hospitalière de France (FHF), pourtant favorable à la régulation des rémunérations excessives des intérimaires, n'a pas caché son inquiétude. Rien que dans le Grand Est, la fédération redoutait 79 services exposés à un risque de fermetures totales ou partielles…
Dans tous les cas, dès la semaine prochaine, comme le prévoit l’article 33 de la loi Rist d'avril 2021, le comptable public bloquera toute rémunération supérieure au plafond réglementaire. Sont concernés aussi bien les praticiens qui passent par des agences d'intérim que ceux qui négocient des contrats de gré à gré avec les hôpitaux.
De fait, ce sont surtout les contrats dits « de type 2 », permettant de recruter des contractuels en cas de « difficultés particulières de recrutement ou d'exercice pour une activité nécessaire à l'offre de soin sur le territoire », qui semblent avoir entraîné les dérives les plus importantes. Des rémunérations pouvant aller jusqu'à 5 000 euros brut pour 24 heures auraient été constatées, selon le ministère de la Santé, au risque d' « accélérer la dégradation des collectifs de travail ».
L'attractivité des carrières, enjeu central
C’est aussi l’avis de l’intersyndicale Action praticiens hôpital (APH) qui relève une « épidémie de signatures de contrats de PH contractuels de type 2 », dénonce son président, le Dr Jean-François Cibien. Selon l’urgentiste du CH d’Agen-Nérac, la « dérive essentielle » provient de ces contrats qui peuvent faire grimper les rémunérations « jusqu’à 140 000 euros/an ». Les disparités salariales sont telles que « cela risque de faire exploser les équipes », met en garde le président d’APH, favorable à un plafond, à condition que celui-ci « tienne compte du coût de la vie et de la pénibilité du travail des intérimaires ».
Comme Samu Urgences de France (SudF) ou le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi aux autres spécialités (Snphare), APH estime que la lutte contre les dérives de l’intérim doit s’accompagner en miroir de mesures pérennes d’attractivité en faveur des PH en poste. L'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH) est sur la même ligne. « Nous soutenons la régulation de l’intérim médical qui permettra une revalorisation des carrières hospitalières. D’autant plus que cela fait des années que l’on masque les problèmes de l'hôpital avec l’intérim », explique sa présidente, la Dr Rachel Bocher.
Reste que dans l'immédiat, l'inquiétude demeure. Des « centaines de lignes de garde vont être fermées », redoute l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf), ajoutant qu’il sera ensuite « facile de fermer des centaines de structures ». « Il faut envoyer des signes forts sur le métier de PH : sur la rémunération mais aussi sur la reconnaissance des conditions d’exercice et de la charge de travail », abonde le Dr Thierry Godeau, président de la conférence des présidents de commissions médicales d’établissement (CME) de CH. Si tel n’est pas le cas, « il y aura de plus en plus de fuites de praticiens », prévient le président de la CME du GH Littoral-Atlantique.
Réinjecter les économies
François Braun semble avoir entendu ces revendications. Il a promis que le milliard et demi d'euros de surcoût lié à l'intérim médical (qui sera économisé avec l'application du plafond) sera réattribué à des mesures d'attractivité des carrières médicales hospitalières et hospitalo-universitaires. La FHF souhaite que le redéploiement des moyens soit principalement fléché vers la permanence des soins, les astreintes et le travail de nuit, autant de chantiers promis.
En attendant, la FHF recommande de préserver les activités essentielles à très court terme, « ce qui suppose que les spécialités à garde mettent en place des schémas de PDS partagés entre hôpitaux publics et établissements privés », exige son président Arnaud Robinet. Pour le maire de Reims, tout doit être envisagé pour garantir l’accès aux soins, « y compris le recours aux réquisitions en cas de blocage majeur ». Le ministère n’exclut pas non plus « l’utilisation de cet outil en dernier ressort ». Il compte lui aussi sur la solidarité territoriale du secteur privé, pressé également d'appliquer une forme de modération salariale pour ne pas activer de surenchère. Les fédérations des cliniques (FHP) et du privé non lucratif (Fehap) se sont engagées à mettre à disposition du personnel pour remédier à des difficultés ponctuelles. Suffisant pour passer l'orage ?