Alors que se tenait ce vendredi matin une réunion exceptionnelle du directoire de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le DG Martin Hirsch envoyait un courrier électronique à l'ensemble des personnels de ses hôpitaux pour annoncer sa démission… Un départ que le directeur général, en poste depuis 2013, avait signifié au gouvernement, il y a un mois déjà. Martin Hirsch estime « ne pas pouvoir réunir toutes les conditions » pour que « son engagement soit respecté », à savoir de « pouvoir bâtir un modèle hospitalier différent de ce qu'il a été avant » la crise du Covid « plus proche de nos attentes et de nos ambitions ».
Une critique à peine voilée de la politique d'Emmanuel Macron, de la part de ce haut fonctionnaire de 58 ans, énarque et normalien après avoir abandonné ses études de médecine au bout de cinq ans à la faculté de Cochin. Ancien directeur de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, il fut aussi Haut Commissaire aux solidarités actives de Nicolas Sarkozy et créateur, à ce titre, du revenu de solidarité active (RSA) avant de prendre la direction du CHU francilien il y a neuf ans.
Ordonnance choc
En déplacement dans la Vienne aujourd'hui, la ministre de la Santé, Brigitte Bourguignon a sobrement « salué le travail qu'il a fourni pendant ces années pour le service public ».
Les relations du directeur général du plus gros CHU de France avaient été surtout houleuses avec Agnès Buzyn. Son lien avec l'exécutif avait parfois aussi été compliqué pendant la crise du Covid, en raison de prises de parole jugées trop alarmistes. Pourtant parfois donné lui-même comme potentiel ministre de la Santé, l'ancien directeur de cabinet de Bernard Kouchner avait publié début mai une tribune remarquée sous forme d'ordonnance choc pour réformer l'hôpital public.
Ses propositions iconoclastes de nommer les praticiens hospitaliers pour des périodes de cinq ans (renouvelables) ou encore de rendre variable une part de leur rémunération avait fait grincer des dents, dont celle du Pr Rémi Salomon, président de la CME de l'AP-HP. « Je suis convaincu que beaucoup des maux dont nous souffrons appellent à des changements de même ampleur que ceux qui avaient été réalisés en 1958, quand l'hôpital universitaire avait été repensé pour lui redonner force, noblesse et attractivité », écrit Martin Hirsch aujourd'hui aux 100 000 personnels de l'AP-HP – dont 12 000 médecins et 4 000 internes – en rappelant cette récente prise de position.
Évidemment marqué par la crise du Covid qui a particulièrement touché les hôpitaux parisiens, il en tire des leçons. « Nous avons montré, dans la tempête de la pandémie, que nous savions travailler autrement, tirer le meilleur parti de nos qualités, mettre de côté nos défauts, faire preuve d'une solidarité sans faille », fait encore valoir celui qui proclame « un rapport passionnel » avec l'AP-HP.
Il laisse toutefois plusieurs dossiers chauds à son successeur sur fond de crise généralisée de l'hôpital public : de nombreux services d'urgences en détresse, jusqu'au service d'hématologie de Saint-Louis menacé de fermeture faute de personnels, en passant par le chantier du futur Hôpital Nord.
Tribune au vitriol
« C'est un vrai tueur. Il a accéléré les processus déjà en cours de l'hôpital public, a commenté, auprès de l'AFP, le Dr Christophe Prudhomme, porte-parole de l'Amuf et membre de la fédération CGT de la Santé. Sa démission est un non-évènement, nous avons peu d'espoir que la situation change avec son successeur ».
Le bilan de Martin Hirsch est jugé « globalement négatif » par le Dr Olivier Milleron, porte-parole du Collectif inter-hôpitaux (CIH), un mouvement largement éclos au sein de l'AP-HP. « Il a porté plusieurs dossiers très symboliques, ajoute le cardiologue de Bichat, interrogé par « Le Quotidien ». On lui doit notamment la réorganisation du temps de travail des paramédicaux qui nous a fait beaucoup de mal car à l'origine des difficultés actuelles de recrutement. Il a également acté la fermeture de l'Hôtel-Dieu pour en faire une galerie marchande. Et enfin, dans le dossier du nouvel hôpital Nord, il a refusé toute discussion sur le projet médical et le nombre de lits » .
Ces critiques sont partagées par le Dr Éric Le Bihan, vice-président du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi (Snphare). « On n'est pas mécontents qu'il s'en aille, confie l'anesthésiste-réanimateur de Beaujon au "Quotidien". Les plans de réduction de personnels se sont succédé durant son mandat. Sur le plan syndical, cela faisait des années que nous demandions des mesures d'attractivité pour faire face au déficit de postes, mais celles qui ont été proposées tardivement étaient insuffisantes ». Le syndicaliste déplore aussi le refus de la direction de l'AP d'appliquer le décompte du temps de travail des médecins.
Rivalités et égoïsmes
« À l'AP-HP, on trouve toujours ce qui fait le plus vibrer : la solidarité, le soin, la transmission, l'innovation, l'assistance, le service public », s'enthousiasmait ce matin le directeur sur le départ, avant d'ajouter : « On y trouve encore aussi ce qui fait le plus rager : les rigidités, les pesanteurs, les rivalités et les égoïsmes, les forces d'inertie, le dénigrement ». Allusion probable à une tribune au vitriol, d'un collectif de médecins parisiens, dénonçant son « bilan désastreux », début mai dans « Les Échos ». En décembre 2021 déjà, 1 376 médecins de l'AP-HP avaient écrit une lettre ouverte au président de la République publiée dans « Le Monde » pour déplorer « la culture du chiffre, du blabla et des process » depuis le projet de la « nouvelle AP-HP » en 2019 qui avait créé les six groupes hospitalo-universitaires (GHU).
La prédécente DG de l'AP-HP avait été évincée en 2013, au bout de trois ans de mandat, par la ministre de la Santé Marisol Touraine, qui lui reprocha une mauvaise gestion de la fermeture des urgences de l'Hôtel-Dieu.
Le nom du prochain directeur n'est pas encore connu. Selon des sources gouvernementales, Nicolas Revel, ex-directeur de cabinet de Jean Castex à Matignon, également ancien patron de la Cnam, est le favori pour lui succéder à la tête de l'AP-HP. « On aimerait voir quelqu'un qui se reconnecte au terrain », confie au « Quotidien » la Dr Anne Gervais, membre du CIH et gastroentérologue à Bichat. Un ou une médecin ?
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