Un peu moins de trois ans après leur mise en place, la cote semble assez mal taillée. Particularisme parisien, les 76 départements médico-universitaires (DMU) qui ont remplacé, depuis l'été 2019, les 128 pôles des six groupes hospitaliers universitaires (GHU) de l'AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) n'ont pas convaincu le corps médical. C'est du moins ce qu'il ressort d'une vaste enquête réalisée sous la houlette de la commission médicale d'établissement (CME) par le biais d'un questionnaire, auquel ont répondu près du tiers des médecins et sages-femmes de l'AP.
Présentés le 3 mai dernier, les résultats montrent que la mayonnaise n'a pas vraiment pris : 68 % des répondants pensent que ces DMU ne favorisent pas l'attractivité de l'hôpital pour les personnels médicaux, ni d'ailleurs pour les autres personnels pour 66 % des sondés.
De même 53 % d'entre eux estiment que ces nouvelles (super)entités ne favorisent pas l'amélioration du parcours de soins du patient. Les DMU ont-ils au mois permis d'améliorer l'émergence de projets médicaux communs ou complémentaires à plusieurs services, ce qui était l'une de leurs raisons d'être ? Non, pour 46 % des répondants, oui pour 25 %, tandis que les autres s'interrogent encore.
Mastodontes
Ces résultats confortent les contempteurs de cette vaste réorganisation, imaginée par le directeur général Martin Hirsch en 2018, qui s'étaient exprimés dans une tribune parue dans « Le Monde » en décembre dernier, adressée au chef de l'État en personne. « La création de ces mastodontes ingouvernables a entraîné les effets que les plus lucides d’entre nous avaient prévus : des dysfonctionnements et un désordre supplémentaire dans une institution qui en comptait déjà beaucoup » écrivaient alors 1 376 médecins du plus grand CHU d'Europe.
Très récemment encore, le 10 mai, un collectif de médecins de l'AP-HP a publié une tribune cinglante dans « Les Échos » (en réponse à une autre tribune de Martin Hirsch pour réformer l'hôpital) dans laquelle ils estimaient que cette réforme a « surtout épaissi le millefeuille administratif, déjà très pesant, et a éloigné les décideurs du terrain, alors que les spécialistes de l'organisation et du management hospitaliers préconisent l'inverse ». Les personnels de ces ensembles étalés « ont le sentiment d'être utilisés comme des pions », peut-on y lire.
Déficit de notoriété
Crise du Covid oblige, on ne peut exclure non plus que les DMU souffrent encore d'un déficit de notoriété, les médecins ayant eu d'autres chats à fouetter. Ainsi, un répondant sur deux déclare ne pas connaître le projet médical de son département médico-universitaire. Et chez ceux qui sont au courant, seule la moitié a participé à son élaboration.
À noter également qu'un soignant interrogé sur trois ne sait pas qui sont les membres exécutifs de son DMU. Logiquement, les praticiens les moins anciens et/ou qui n'exercent pas de fonction de chefferie sont ceux qui ont le plus de mal à voir ce que les DMU changent par rapport aux anciens pôles, fruits de la loi Bachelot de 2009 et eux-mêmes souvent décriés. La moitié des répondants ne savent d'ailleurs pas comment fonctionne le circuit de décision au sein de ces entités médico-universitaires. En revanche, pour ceux qui ont compris, les deux tiers le trouvent quand même « fluide ».
Lourdeurs administratives
En fin de compte, 57 % des soignants sondés pensent que les DMU n'apportent pas de bénéfice direct par rapport aux différents services qui les composent ; et ce sont surtout les PH à temps plein qui ne voient pas de plus-value.
Mais tout n'est pas perdu pour un quart des mécontents qui « déclarent que leur opinion pourrait évoluer avec le temps ». À l’origine du désamour, ce sont surtout les « lourdeurs administratives » qui sont évoquées dans les commentaires des sondés, ainsi qu'une forme d'éloignement du terrain.
Enfin, le bilan même des DMU n'est pas reluisant sur la recherche et l'enseignement. La majorité des répondants (57 %) ne connaît pas le correspondant recherche et encore moins (70 %) le correspondant pédagogique de son DMU, même chez les hospitalo-universitaires (HU). De même, la grande majorité des médecins (65 %) jugent que les DMU n'ont pas amélioré le déroulement de la recherche clinique ni de l'enseignement (73 %), ce à quoi acquiescent les HU.
À la suite de cette consultation, des propositions devraient être faites rapidement par la sous-commission ad hoc de la CME qui s'est chargée de cette enquête. La conclusion de celle-ci fait déjà ressortir que les deux tiers des membres du corps médical réclament une évolution des DMU vers « une fédération des services cohérents sur le plan médical ».
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