« Remettre de l'humain, des moyens et du sens dans notre système de santé. » C'était le cap fixé par Olivier Véran au moment de clôturer les six semaines de négociations du Ségur de la santé, en juillet dernier. Si un effort inédit a été fait au plan salarial, où en sont les autres chantiers, huit mois après la signature des accords ?
Cette semaine, les députés étudiaient pour la deuxième fois la proposition de loi de la majorité visant à « améliorer le système de santé par la confiance et la simplification », censée traduire le volet non financier du Ségur. Après un passage houleux en première lecture à l'Assemblée et au Sénat, signe des tensions, le texte fait bouger quelques lignes mais a perdu de sa substance. Le projet de création d'une profession médicale intermédiaire entre l'infirmière et le médecin ne verra pas le jour dans l'immédiat. Plus question non plus de confier à l'établissement support d'un groupement hospitalier de territoire (GHT) la direction par intérim d'un hôpital en cas de vacance du poste de directeur. À l’inverse, deux promesses devraient être inscrites dans le marbre : la réhabilitation du service comme « échelon de référence » à l'hôpital et le renforcement de la lutte contre les dérives de l'intérim médical.
En finir avec la loi Bachelot, vraiment ?
En matière de « remédicalisation » de la gouvernance, promesse phare de l'exécutif, l'équilibre s'avère très difficile à trouver entre, d'un côté, les attentes des directeurs d’hôpital et, de l'autre, celles de la communauté médicale qui veut en finir avec les « effets délétères » de la loi HPST. La concertation entamée en 2019 entre le ministère et les parties prenantes s'est achevée mi-février. Les réflexions, infusées des idées du Ségur, doivent donner lieu à divers ordonnances et décrets permettant d'organiser la médicalisation des décisions à l'hôpital et d'installer la commission médicale de groupement (CMG) sur un modèle coopératif.
Si ces objectifs sont salués par les trois conférences des présidents de CME de CHU, de centres hospitaliers (CH) et de centres hospitaliers spécialisés (CHS), elles insistent sur le juste dosage à garantir entre la stratégie définie à l'échelle du groupement et la nécessaire liberté d'initiative et d'organisation des établissements parties. Et sur le rôle des CME comme sur le management participatif, les conférences alertent sur le risque de « déception immense » si les engagements ne sont pas tenus.
Trahison
Le son de cloche est très sévère du côté des syndicats de praticiens hospitaliers (PH). Début mars, le Conseil supérieur des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques (CSPM) a rejeté les textes censés mettre en musique les promesses d'Emmanuel Macron. L'intersyndicale Alliance hôpital (SNAM-HP et CMH) dénonce une « trahison » des engagements visant à remettre le médecin au cœur de la gouvernance hospitalière et à renforcer le pouvoir de la CME. « Plusieurs points restent figés dans une vision passéiste », tacle Alliance hôpital. Le texte s'est attiré les foudres de l'intersyndicale Action praticiens hôpital (APH) et de Jeunes Médecins (JM). La réforme « garantit au directeur d'être, sinon seul maître à bord, au minimum seul décideur en dernier recours… Ce qui n'est qu'une pirouette sémantique », se désolent les deux organisations. « Où est passée la leçon de la première vague du Covid-19 tant vantée pendant le Ségur », peut-on lire. « Déception » aussi pour l'Intersyndicat national des PH (INPH) qui voit dans ces textes une « hypercentralisation des pouvoirs sur les établissements supports » et une « hyperpersonnalisation des CME et CMG au travers de leurs présidents ».
Modèle inéquitable pour la psychiatrie
Au-delà de la gouvernance, réduire la part de financement à l'activité des hôpitaux figurait parmi les objectifs. Sur ce point, les choses bougent. Aux urgences, un décret détaille le fonctionnement des nouvelles dotations – populationnelle et à la qualité – actées depuis janvier. En revanche, la réforme du financement de la psychiatrie et des soins de suite et de réadaptation (SSR) attendra. Prévue pour le 1er janvier de cette année, la crise sanitaire a contraint le gouvernement à repousser le projet. La FHF souligne pourtant la nécessité absolue de faire aboutir cette réforme du financement de toute la psychiatrie « pour sortir d’un modèle inéquitable et néfaste ».
D'autres chantiers restent en jachère. C'est le cas du chapitre de la pertinence des soins mais aussi de la nouvelle gouvernance territoriale avec le renforcement de l'échelon départemental des agences régionales de santé (ARS) et de l'introduction des élus locaux. Côté financement, la remise à plat de l'ONDAM [objectif national de dépenses d'Assurance-maladie, NDLR] « pour la décennie à venir », promise par Olivier Véran, se fait également attendre.
Objectif déconcentration !
Sur l'investissement dans le système de santé en revanche, le gouvernement vient d'adresser un signal fort. A la faveur d'un déplacement dans la Nièvre, mardi dernier, Jean Castex et Olivier Véran ont débloqué les premiers investissements pour les hôpitaux et les EHPAD – dans le cadre d'un vaste plan de relance à 19 milliards d'euros sur dix ans (comprenant 13 milliards de reprise de dette).
Au-delà des montants engagés (dont deux milliards sur trois ans pour la transition numérique), c'est le changement de méthode qui pourrait marquer des points. Sur ces 19 milliards d'euros d'investissement, 14,5 milliards seront « intégralement délégués aux agences régionales de santé ». C'est la fin du système ultracentralisé du COPERMO – comité interministériel de performance et de la modernisation de l'offre de soins – qui instruisait et validait les projets hospitaliers et jouait un rôle de couperet budgétaire. « Nous allons laisser beaucoup plus de place aux territoires et au médical », jure-t-on au ministère de la Santé. Chiche ?
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