C'était une proposition discrète issue du Ségur de la santé. La création d'un nouveau métier – à mi-chemin entre médecin et infirmière – doit être soumise aux députés à la fin du mois à la faveur d'une proposition de loi de la majorité pour « améliorer le système de santé par la confiance et la simplification ».
Le texte porté par le Dr Stéphanie Rist, rhumatologue et députée LREM du Loiret, fixe le cadre législatif d'une nouvelle profession médicale dite « intermédiaire », pont entre l'infirmière titulaire d'un bac +3 et le médecin à bac + 10. Son exercice serait ouvert aux infirmiers, kinés, pédicures-podologues, ergothérapeutes et psychomotriciens, orthophonistes et orthoptistes, manipulateurs radio et techniciens de laboratoire médical, audioprothésistes et orthésistes, opticiens-lunetiers et diététiciens. Le périmètre d'intervention et les prérogatives d'exercice de cette profession seraient fixés par décret.
Le parfum des officiers de santé
Mais avant même son examen en commission prévu le 25 novembre, le texte s'est attiré les foudres du corps médical dans son ensemble. Quatre syndicats de praticiens hospitaliers (APH, SNAM-HP, CMH et INPH) expriment d'une même voix leur opposition formelle. En pleine pandémie, « le ministre de la Santé semble particulièrement impliqué ans l'urgente volonté de faire aboutir un texte que personne ne demande », grincent-ils. Les PH dénoncent une mesure hors de propos, une « curiosité historique » évoquant les « officiers de santé » du XIXe siècle, qui exerçaient la médecine sans avoir le titre de docteur, créés en 1803 et abolis en 1892.
« On est en train de déclasser le métier de médecin », s'inquiète le Dr Rachel Bocher, présidente de l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH). Dans cette période de crise sanitaire, la psychiatre nantaise pose la question de l'opportunité d'un tel texte de loi. « À quoi ça sert-il de faire des sous-médecins alors qu'on en manque aujourd'hui ? », s'interroge-t-elle. « On ne sait pas d'où ça sort, il n'y a aucun argumentaire qui tient la route, c'est de l'enfumage », tance le Dr Jean-François Cibien, président de l'intersyndicale Action praticiens hôpital (APH).
Les leaders hospitaliers appellent plutôt à la revalorisation des carrières et des métiers existants, à commencer par les infirmières en pratique avancée. « Les IPA ont été créées il y a un moment mais il n'y a toujours pas de moyens supplémentaires, s'agace le Dr Cibien. Il faut conforter les gens dans leur travail avant de créer quelque chose de nouveau au lieu de faire de la fumée ».
Médecine à deux vitesses
Pas en reste, les syndicats de médecins libéraux expriment leur opposition totale au projet de création d'une profession médicale intermédiaire. Comme un seul homme, la CSMF, la FMF, MG France, le SML et Le BLOC mettent en garde contre le risque de « médecine à deux vitesses ». « Les patients défavorisés et les ruraux auront des officiers de santé, les autres de vrais docteurs en médecine ! », ironisent-ils. Plutôt que d'inventer une profession « mal située», ils soutiennent l'universitarisation des études en soins infirmiers devant aboutir à « leur intégration dans les facultés et la création d'un doctorat de soins infirmiers ». Les libéraux craignent aussi que ce nouveau métier entre en concurrence avec les IPA, de création très récente. Avec à la clé le risque de « destructuration ».
« Ce texte ajoute de la confusion et nuit à la lisibilité d’une organisation des soins déjà considérablement complexifiée au fil des réformes successives », analysent à leur tour le Centre national des professions de santé (CNPS, libéraux) et la Fédération française des praticiens de santé (FFPS), qui critiquent aussi la « précipitation ».
C'est cet argument de la confusion que l'Ordre des médecins met en avant pour demander le retrait du projet. L'institution rappelle que sa priorité reste la mise en œuvre des pratiques avancées qui permettent, « dans la concertation et au sein d’une équipe de soins coordonnée par le médecin », de faire évoluer les professions de santé existantes. Signe de son courroux, l'Ordre a prévenu le ministre de la Santé qu'il ne participerait pas à la mission « exploratoire » sur les contours de cette hypothétique profession intermédiaire !
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