Après 20 mois de travail en coulisse, le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques Stanislas Guerini a présenté mi-avril aux partenaires sociaux les contours de sa réforme explosive des trois versants de la fonction publique : État, collectivités territoriales et hôpitaux. Quelque 5,7 millions d’agents sont concernés par ce projet de loi « pour l’efficacité de la fonction publique ». Sans être fonctionnaires stricto sensu, les 100 000 PH qui soignent dans les 1 000 hôpitaux publics seront bien « concernés par la réforme, qu’ils soient contractuels ou rattachés à la fonction publique hospitalière », assure le cabinet du ministre.
Le texte de loi doit être discuté par les syndicats, employeurs hospitaliers et collectivités jusqu’à cet été, avant d’être présenté au Parlement à l’automne. Sans préjuger du contenu, il risque de dynamiter certains fondamentaux de l’exercice à l’hôpital. Stanislas Guerini souhaite par exemple « lever le tabou » du licenciement même s’il n’a officiellement pas l’intention de toucher à la garantie de l’emploi à vie…
Primes ou déprime ?
La fin de l’égalitarisme des rémunérations au profit de schémas « à la carte » fait partie des sujets sensibles. Dans un document de travail remis aux syndicats, l’exécutif met les pieds dans le plat : « Comment mieux récompenser l’engagement, le mérite et les résultats par la rémunération ? », interroge-t-il. Pour reconnaître l’expertise des agents méritants, le gouvernement mise sur l’intéressement lié à la qualité du service rendu. Ces primes pourraient être octroyées à l’intégralité du personnel impliqué dans un projet d’équipe innovant – paramédicaux, médecins ou agents de service.
Contrairement aux idées reçues, le principe de primes et indemnités complémentaires aux salaires est déjà ancré à l’hôpital, qui compte une centaine de gratifications de ce type. Stanislas Guerini entend généraliser l’une d’elles, instaurée en 2020 dans le Ségur de la santé : la « prime d’engagement collectif » qui fonctionne « plus ou moins bien », de l’aveu même du ministre interrogé par Le Quotidien. À ce jour, impossible de savoir le nombre d’hôpitaux ayant déployé ce bonus. En l’état, il s’agit d’un supplément de 200 euros à 1 200 euros par an et par agent (paramédical, médecin, cadre de santé, etc.) impliqué dans un projet d’équipe. Plafonnés à 1 800 euros pour les participants à plusieurs projets, les montants sont identiques pour tous les membres d’une même équipe. Ce qui pourrait changer avec la réforme.
La fonction publique n’est pas ce vieux dinosaure que certains voudraient donner à voir !
Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques
Second point sensible : pousser la logique de mobilité interversant afin de faciliter le passage des salariés d’un poste à l’autre. À cette volonté de décloisonner la fonction publique en interne s’ajoute l’objectif du ministre « d’ouvrir les portes et les fenêtres » aux compétences extérieures. L’hôpital manque d’infirmières et les directeurs ne savent pas comment recruter des libérales ? Cela doit changer. « La fonction publique bouge, elle n’est pas ce dinosaure que certains voudraient donner à voir », insiste Stanislas Guerini.
Chiffons rouges
La généralisation à l’hôpital d’éléments de méritocratie à rebours d’une rémunération fondée depuis 70 ans sur la qualification, le diplôme et l’ancienneté ne fait pas l’unanimité. Si la Fédération hospitalière de France (FHF) voit dans cette approche un moyen « très intéressant » d’améliorer l’attractivité des carrières les confédérations de salariés sont beaucoup plus critiques.
Elles redoutent d’abord la mise à mal du principe d’égalité. D’un service méritant à un autre moins dynamique, infirmières et aides-soignantes, deux professions très mobiles, risquent d’être davantage perdantes que les médecins, plus statiques dans leurs carrières, s’inquiète Sud. Dans un contexte où « le dialogue social est déjà très compliqué », Mireille Stivala, secrétaire générale de la CGT santé, s’agace des chiffons rouges agités. La rémunération au mérite ? « Un leurre, sans compter que l’hôpital ne s’adresse pas à des clients », évacue-t-elle. Lever le tabou du licenciement ? « Une fausse proposition, très mal perçue alors qu’on manque de personnel partout ». Réformiste, même la CFDT affiche sa « prudence ». « Quand on demande 20 milliards d’économies sur les dépenses publiques, on peut craindre une réforme au ras des pâquerettes », analyse Ève Rescanières, secrétaire générale de la branche santé-sociaux.
Médecins oui, fonctionnaires non
À ce stade, les organisations représentatives des PH n’ont pas été consultées, ce qui ne veut pas dire qu’elles ne s’intéressent pas au sujet. « Le personnel médical ne fait pas partie de la fonction publique hospitalière – et ne le souhaite pas – mais on pourrait être rattrapés par la bande par les changements, comme à l’époque des RTT, analyse la Dr Rachel Bocher, présidente de l’INPH. Cette réforme pourrait présenter des éléments d’attractivité pour les médecins, en matière de rémunération au mérite ou de mobilité. »
Président du SNAM-HP, le Pr Sadek Beloucif reste ouvert à toute discussion « adulte et mature ». Mais avec 35 % de postes vacants et une pénurie médicale généralisée, les syndicats de PH poussent leur propre agenda : carrières, gouvernance hospitalière, dialogue social, accompagnement des confrères en souffrance… Des dossiers en jachère qui laissent les praticiens circonspects face au grand ménage de la fonction publique.
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