Retrouver une activité normale après la première vague de Covid-19 prend des airs de casse-tête chinois pour les établissements de santé. Alors que le déconfinement se met en place progressivement et que la pression épidémique se desserre, de façon inégale selon les régions, hôpitaux et cliniques espèrent reprendre – au moins en partie – leur niveau activité d'avant la crise. C'est sans compter sur les freins qu'impose la situation.
À l'échelle nationale, la doctrine fixée par le ministère de la Santé est claire mais laisse une marge de manœuvre aux agences régionales de santé (ARS). Dans une note en date du 6 mai, Ségur encourage la reprise des « activités de soins ne mettant pas en cause les possibilités de réactivation rapide des capacités de prise en charge des patients Covid+ ». La priorité est ainsi donnée à l'accueil des malades présentant une perte de chance puis à la réactivation de « l'activité ambulatoire sans anesthésie générale » et enfin aux soins de suite et de réadaptation (SSR) hors suivi post-Covid.
Vision administrative
Mais sur le terrain, l'application de cette stratégie peut changer du tout au tout en fonction des territoires. Alors qu'en Occitanie « l'organisation reste souple », ailleurs « certaines ARS terrorisent les directeurs d'établissement. Elles font des listes pour dire ce que les médecins peuvent opérer ou non. On se demande si on n'est pas dans un mauvais film », s'agace le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF.
Sentiment largement partagé par le Dr Christian-Michel Arnaud, son homologue du Syndicat national des anesthésistes-réanimateurs de France (SNARF), qui dénonce « un échec total de l'administration », incapable selon lui de fixer un cap. « La population est fragilisée et on ne sait pas quelles activités il est possible de reprendre ni quand », résume, exaspéré, le praticien libéral de Bayonne. « Les médecins veulent une vision médicale de la reprise et non pas administrative ! », tonne-t-il.
La FHP contratriée, la FHF joue la confiance
« Les ARS sont trop coercitives », abonde Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP). Le représentant des cliniques se dit « contrarié » par cette gestion qui bride ses établissements à « 30 % ou 40 % » de leur activité. Après deux mois d'arrêt quasi complet, le responsable juge indispensable un retour des patients dans les blocs opératoires. « C'est un problème de santé publique et pas un problème économique », soutient le président du groupe Cap Santé.
La semaine dernière, dans nos colonnes, le Pr Olivier Goëau Brissonnière, président de la Fédération des spécialités médicales (FSM, qui regroupe les 41 conseils nationaux professionnels) plaidait pour une reprise « équitable » entre le public et le privé, fondée sur les avis et les compétences des équipes médicales, et surtout pas sur des « listes d'actes » aux mains des ARS.
Du côté de la Fédération hospitalière de France (FHF), le ton est plus optimiste. Son président Frédéric Valletoux veut faire confiance aux ARS dont « la coordination depuis le début de la crise fonctionne plutôt pas mal ». Le maire de Fontainebleau en appelle plutôt à « la responsabilité et à la solidarité » de l'ensemble des acteurs. « Le Covid ne doit pas reposer sur les seules épaules de l'offre publique », prévient-il.
L'Etat centralisateur
Une source majeure d'incertitude réside dans l'approvisionnement en médicaments. Depuis le 25 avril, l'État centralise les commandes de cinq molécules indispensables en réanimation (curares, hypnotiques). Les établissements sont fournis selon une procédure de répartition nationale pilotée par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Là encore, le flou règne. « On est obligé de faire au jour le jour en fonction de ce qui nous est accordé, aucune perspective n'est donnée », témoigne le Dr Christian-Michel Arnaud. « Il faut que l'État libère la commande de curares », exhorte à son tour Lamine Gharbi, sans quoi le retour à 100 % d'activité des blocs opératoires est inenvisageable.
Elasticité
Si la tension est forte sur ces molécules, c'est parce que plane toujours la menace d'une seconde vague épidémique. Dans son plan de sortie du confinement, Jean Castex insistait même sur « la mise en place d'une cellule de régulation au sein des établissements afin de préserver une élasticité de l'offre de soins ». Le désarmement des lits de réa doit pouvoir être réversible dans un délai maximum de 72 heures.
En phase avec la prudence du « Monsieur déconfinement » du gouvernement, Frédéric Valletoux (FHF) assure de la « plus grande vigilance » des hôpitaux. Son homologue du secteur privé lucratif promet lui aussi de jouer le jeu de la réactivité. « Réarmer des lits de réanimation, affirme Lamine Gharbi, on sait faire ».
À l’hôpital psychiatrique du Havre, vague d’arrêts de travail de soignants confrontés à une patiente violente
« L’ARS nous déshabille ! » : à Saint-Affrique, des soignants posent nus pour dénoncer le manque de moyens
Ouverture du procès d'un homme jugé pour le viol d'une patiente à l'hôpital Cochin en 2022
Et les praticiens nucléaires inventèrent la médecine théranostique