Pénurie médicale, accès aux soins : comment des hôpitaux s’organisent pour sortir la tête de l’eau

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Publié le 19/03/2024
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Lors de ses Journées nationales, le 15 mars, l’Association des directeurs d’hôpital (ADH) s’est interrogée sur la pertinence d’une réforme totale du système de santé pour en finir avec la pénurie médicale.

Crédit photo : GARO/PHANIE

Zaynab Riet est catégorique : « La disruption est un impératif dans un cadre où les contraintes budgétaires sont énormes et les attentes des professionnels de santé de plus en plus fortes, avec des besoins de santé grandissants », a-t-elle affirmé lors des Journées de l’Association des directeurs d’hôpital (ADH). Lors d’une table ronde sur le sujet, plusieurs professionnels de santé ont partagé l’opinion de la déléguée générale de la Fédération hospitalière de France (FHF), clairement favorable à une révolution totale de l’organisation du système de santé. D’autant que les acteurs de santé sont en demande de plus de territorialité dans la mutation de la chaîne de soins et de la prévention. Et que le résultat des expérimentations en la matière sur le terrain semble concluant.

Des médecins chefs de pôle manageurs

Premier exemple de transformation organisationnelle déjà expérimentée au centre hospitalier de Valenciennes : la délégation polaire médicalisée, poussé par son directeur Rodolphe Bourret, aujourd’hui à la tête du CHU de Nice.

Dans son nouvel établissement, il lui a fallu un an pour concerter avec toutes les parties prenantes et mettre en place son projet de « redistribution des rôles », témoigne-t-il. Le premier niveau de discussion a eu lieu avec le doyen de la faculté de médecine et le président de la commission médicale d’établissement. Le deuxième niveau d’échanges a été opéré avec les médecins chefs de pôle qui vont devenir managers, gérant les ressources humaines et les congés aussi bien médicaux que paramédicaux. Des contrats et des périmètres d’interventions ont été dessinés avec eux et la direction générale qui leur délègue sa confiance. La quasi-totalité des médecins a été d’accord pour relever le défi. La troisième étape du projet a consisté à le faire avaliser par le politique, à savoir le président du comité de surveillance de l’hôpital. Enfin, dernier étage de la fusée, pas le plus simple, la négociation avec les syndicats : « Nous avons obtenu la neutralité avec l’un d’entre eux et c’est passé ».

Selon Rodolphe Bourret, Valenciennes a bénéficié de cette méthode managériale particulière à deux niveaux : les ressources humaines et les finances. « La conflictualité a cessé », témoigne l’ancien directeur. Le CH de Valenciennes, aux finances initialement très dégradées, est redevenu attractif, avec la création de 100 postes par an et une augmentation de l’activité de chirurgie de +10 % par an les trois premières années de cette nouvelle gouvernance.

La conflictualité a cessé

Rodolphe Bourret, ex-directeur du centre hospitalier de Valenciennes

Créer des équipes territoriales de soins mobiles

Un autre territoire était en souffrance, celui dans la région du CHU de Toulouse. Le Pr Didier Carrié, cardiologue hospitalier, témoigne de la situation de l’établissement il y a cinq ans : « Nous avons mis des rustines. Nous allions donner des coups de main. De plus en plus de spécialistes étaient en train de quitter les hôpitaux locaux qui étaient en train de s’étioler ». L’association Hôpitaux d’Occitanie Ouest (H2O), qui regroupe 50 établissements hospitaliers de la région, a été créée. L’objectif était de créer des équipes territoriales de soins qui vont à la rencontre des patients qui habitent dans les bassins de vie les plus éloignés, sous la forme de vacations dans les hôpitaux périphériques. Le Pr Carrié illustre par l’exemple : « En tant que cardiologue, j’exerce deux jours à Cahors ». Le processus a démarré en cardiologie et se poursuit dans les autres spécialités.

Afin de faire lien entre le médical et le paramédical, trois postes de chefs de clinique dans les territoires ont été créés avec le soutien de l’agence régionale de santé. Un chiffre qui devrait passer à 14 d’ici à la fin 2024. Le changement de modèle doit se faire également au niveau universitaire, milite le Pr Carrié : « Nous avons imposé aux étudiants de médecine de quatrième et cinquième années l’obligation de passer au moins un mois en dehors du CHU ». Quelles sont les conséquences sur le terrain de ce projet encore en cours d’expérimentation ? Réaction du cardiologue : « Nous ne sommes plus dans la rustine, nous avons changé de dimension. Il y a un vrai enthousiasme. Tout le monde se sent concerné. »

Mais que font les politiques ?

Pour autant, ces expérimentations ne doivent pas demeurer isolées. Tout l’intérêt est, lorsque le succès est au rendez-vous, de les généraliser. C’est là qu’entre en piste le politique, assure Zaynab Riet, pour qui « l’enjeu est d’obtenir une feuille de route claire pour accompagner ces transformations sur les territoires ». La déléguée générale réclame une fois de plus une loi de programmation budgétaire pluriannuelle pour favoriser la réorganisation du système de santé à grande échelle et sur le temps long. Une requête formulée depuis des années par l’ensemble des fédérations hospitalières.

Arnaud Janin

Source : lequotidiendumedecin.fr