Alors que le Sénat a entamé ce lundi l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2021), l'association de consommateurs UFC-Que Choisir, présente une étude « accablante » sur l’étendue des pénuries de médicaments, ciblant la responsabilité première des laboratoires mais aussi des pouvoirs publics.
Course à la rentabilité
À en croire l'association, la dynamique du phénomène est « explosive ». Si, en 2016, 405 pénuries étaient déjà recensées, ce chiffre a triplé en trois ans pour atteindre « 1 200 » en 2019. Pire, en 2020, en raison de la crise sanitaire, ce sont « 2 400 ruptures » qui seront constatées, soit « six fois plus qu'il y a quatre ans ».
Que Choisir a examiné le profil des produits en pénurie, y décelant le signe de l'« avidité » des industriels. « Le portrait-robot d’un médicament en pénurie est celui d’un produit ancien (75 % sont commercialisés depuis plus de 20 ans) et vendu peu cher (trois quarts coûtent moins de 25 euros, et même un quart moins de 4 euros). Les industriels semblent donc bien faire le choix de sécuriser l’approvisionnement des médicaments rentables, au détriment des plus anciens, pourtant toujours indispensables aux usagers. » Trois classes de médicaments sont particulièrement touchées par les ruptures : les anti-infectieux, les anticancéreux et les médicaments du système nerveux central (antiparkinsoniens, antiépileptiques).
Pour l'association, les premières victimes de ces pénuries sont les patients. « L’arrêt de production du BCG ImmuCyst par Sanofi, utilisé dans le traitement du cancer de la vessie, a été associé à une hausse du nombre de récidives de ce cancer, et à un plus grand nombre d’ablations totales de la vessie », lit-on dans l'étude complète.
Effets secondaires
L'UFC-Que Choisir accuse les laboratoires d'apporter des solutions « rarement à la hauteur des enjeux sanitaires ». Dans 30 % des situations, les industriels renvoient vers un autre médicament, une solution jugée « parfois médiocre puisque les substitutions peuvent entraîner des effets secondaires plus importants, ou nécessiter un temps d’adaptation à la nouvelle posologie, particulièrement pour les patients âgés. » Dans 12 % des cas, affirme Que Choisir, les producteurs orientent vers des solutions de derniers recours, « comme la diminution de la posologie ». Et dans 18 % des situations, ils « ne proposent tout simplement aucune solution de substitution ».
Choix « massif » de l'externalisation (80 % du volume de principes actifs est fabriqué en dehors de l’Union européenne), « fragmentation » des étapes de production, flux tendus : pour l'association, la rationalisation des coûts « fragilise » toute la chaîne du médicament.
Phénomène multifactoriel
Face à ces accusations, Le Leem (Les entreprises du médicament) a déploré ce lundi « la prolifération ces dernières semaines, dans un contexte de crise sanitaire, de campagnes de désinformation sur les tensions d’approvisionnement de médicaments en France, particulièrement anxiogène pour les patients ».
Le syndicat patronal de l'industrie pharmaceutique récuse la thèse d'une explosion des ruptures – « sur les 1 504 signalements recensés en 2019, environ un tiers ont conduit à des mesures de gestion des situations de tension entre l’ANSM et les entreprises », affirme-t-il. Et s'il reconnaît la responsabilité partielle de l'industrie, Le Leem invoque un phénomène « multifactoriel » (insuffisance des capacités de production face à la demande mondiale, exigences accrues de sécurité qui augmentent les tensions d'approvisionnement, etc.). Quant au fait de délaisser délibérément la production des produits anciens pour privilégier les molécules récentes plus rentables, Le Leem voit dans cette affirmation le signe d’une « méconnaissance manifeste de la réalité de notre secteur » – les entreprises n'étant « souvent pas les mêmes ».
Peu de sanctions
Pour l'UFC-Que Choisir, les industriels ne sont pas les seuls fautifs. Et de pointer la « déplorable incurie » des pouvoirs publics. Les plans de gestion des pénuries ? Pourtant obligatoires pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM), ils souffrent de leur « manque d’uniformisation, se construisant au gré des interprétations des laboratoires quant à leur contenu ». Quant aux sanctions contre des laboratoires fautifs pour rupture de stocks, leur nombre est « dérisoire », « deux seulement contre des laboratoires en 2019, qui plus est pour des montants ridicule (830 € et 5 807 €), alors que jamais la situation n’a été aussi préoccupante ».
L'association avance plusieurs propositions dont le durcissement dans la loi des sanctions contre les labos négligents. Elle réclame la relocalisation de la production des MITM et le développement d'une « production publique de médicaments, à même d'assurer la fabrication continue de ceux délaissés par les laboratoires ».
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