Assurer la permanence des soins en établissements (PDE-ES) est devenu depuis quelques années un véritable casse-tête pour les tutelles comme pour les praticiens concernés – un dossier porté particulièrement par le Snphare.
L’Inspection générale des affaires sociales (Igas) s’était emparée du sujet en juillet 2023, dessinant plusieurs pistes pour améliorer la reconnaissance des gardes et astreintes. Un des objectifs était aussi d’assurer une meilleure répartition de la charge de la permanence des soins (PDS-ES) afin que cette contrainte soit plus acceptable individuellement. Le rapport de l’Igas avait constitué « un progrès mais n’était pas suffisant », souligne aujourd’hui la Dr Anne Wernet, présidente du Snphare.
Sur les 40 spécialités proposées dans l’enquête, quatre – anesthésie-réanimation, soins critiques adultes, soins critiques en cardiologie et gynécologie-obstétrique – concentrent à elles seules 66 % des lignes de gardes inscrites aux schémas. Les 10 spécialités les plus importantes concentrent même 90 % des lignes de gardes, tandis que 14 spécialités n’ont aucune ligne financée au titre de la PDS-ES. Le rapport montrait aussi une différence majeure entre la contrainte des gardes pesant sur le privé et le public avec respectivement 13 % et 82 % de la prise en charge des PDS-ES – le privé à but non lucratif assurant 5 % des gardes. De surcroît, l’enquête « Nuits Blanches » menée en 2022 par le syndicat APH auprès des PH a bien documenté que l’aspect contraignant et usant de la PDS-ES était une des causes principales de la fuite des médecins du secteur public.
Limoges, une collaboration fructueuse
C’est dans ce contexte tendu que les territoires doivent gérer au mieux cette problématique de la PDS-ES, grâce à des initiatives qui font collaborer CHU, CH ou cliniques, avec des retours d’expériences plus ou moins fructueux.
Parmi les organisations qui fonctionnent, à Limoges, la collaboration entre le CHU de recours et le petit CH de Saint Junien, à 40 kilomètres, a fait ses preuves. Basée sur le volontariat, la PDS-ES a mobilisé plusieurs équipes dont 90 % de celle de chirurgie digestive. En temps partagé, ils exercent au CHU et assurent à tour de rôle une journée de PDS dans le centre hospitalier. « Ils y vont dans la journée et sont d’astreinte opérationnelle la nuit. Deux lignes de gardes sont mises en place étant donné que chaque docteur junior a un docteur senior qui l’encadre », relate la Pr Muriel Mathonnet, chirurgienne viscérale et présidente du conseil national professionnel (CNP) de chirurgie viscérale et digestive. La clé, explique la praticienne, est « de bien connaître les plateaux techniques, les équipes de part et d’autre, les équipes de recours et d’avoir une remise à niveau régulière des connaissances. Et surtout de respecter l’équilibre des contraintes entre les professionnels impliqués. On comprend bien que la garde dans le CHU est potentiellement très lourde et que la garde dans le CH l’est moins. Tout le monde doit avoir des gardes équilibrées », renchérit la spécialiste. La confiance doit être au centre du processus, ajoute-t-elle. « Cette manière bénéfique de procéder est même devenue source d’attractivité pour les jeunes. Les internes sont formés dans cette dynamique », s’enthousiasme-t-elle.
Astreintes partagées et système bancal
Dans tous les cas, il convient d’éviter l’écueil de l’inégale répartition des contraintes de PDS-ES et du transfert systématique des patients lourds et problématiques vers le centre de recours. Le CH de Perpignan a fait les frais d’une expérience « bancale » et même « foireuse », raconte le Dr Damien Rupp, ORL à l’hôpital de Perpignan. La répartition de la PDS-ES s’opérait sur trois établissements de santé, une structuration qui « rendait les choses très compliquées ». La « patate chaude » passant volontiers des cliniques au CH, certains adressages intempestifs de patients furent source de frictions. « Dans le cas d’un patient au déchocage pour une chute d’escarre, on appelle alors l’ORL de ville d’astreinte, illustre le praticien. Mais il nous est arrivé qu’il nous réponde que, cette semaine, il travaille à la clinique Saint-Pierre à Perpignan, donc les urgences devraient se diriger vers la clinique Saint Pierre. Chose impossible dans le cas de cette pathologie… »
La différence de traitement financier entre les praticiens du privé et du public peut accroître les tensions et le découragement. « Certains de mes collègues en ont eu marre et sont partis, souligne le Dr Damien Rupp. Nous avons aussi reçu un mail de l’ARS qui nous expliquait que les ORL du libéral ne souhaitaient plus nous aider dans la prise en charge des urgences. 2021 fut la fin de l’astreinte partagée… » Il considère que l’idée de mutualisation aurait pu être bonne « si nous avions vraiment partagé le travail avec les collègues du privé, coopéré main dans la main et gardé les compétences ORL sur les différents sites de service d’accueil des urgences. Le système actuel est bancal. »
Des contraintes qui s’ajoutent aux contraintes
Le Dr Thomas Brosset, chirurgien orthopédiste en libéral, à Cavaillon (clinique Alpilles), a connu des déboires équivalents entre la charge du privé et du public. « Pour la permanence des soins, explique-t-il, on travaille avec le centre hospitalier de Cavaillon », au sein du GHT de référence, sur un bassin de population de 100 000 habitants en basse saison, les deux établissements de santé étant à une distance de deux kilomètres. Le service des urgences est situé à l’hôpital mais des opérations se font à la clinique, ce qui nécessite des transports en ambulance.
Mais là encore l’adressage des patients a abouti parfois à des « bugs », faute de répartition jugée équitable. Avec deux équipes de chirurgiens – libéraux d’un côté, publics de l’autre – il y a une astreinte une semaine sur deux et un flux constant de patients. Le praticien du privé dénonce le deux poids, deux mesures. « S’il y a une appendicite, l’hôpital de garde la met dans un lit et le chirurgien du public s’en occupe le lendemain. En revanche, 4 heures du matin, péritonite par perforation d’ulcère, le patient est au déchocage, salle dans laquelle on prend en charge les situations les plus graves, c’est pour nous… », s’agace le Dr Thomas Brosset. S'y ajouteraient des contraintes liées aux ambulances mobilisées par le privé (sur des crédits définis par l’ARS). « Quand les ambulanciers estiment ne pas être assez rémunérés, ils ne viennent pas… On mobilise une astreinte de bloc complet, et le patient n’arrive jamais ».
Des retours d’expériences qui montrent que, malgré très souvent la volonté des acteurs de coopérer, la PDS en établissement de santé doit surmonter des difficultés liées aux situations territoriales extrêmement diverses et à la pénurie médicale.
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