Praticiens étrangers

Une carte de séjour pour faciliter l'embauche, bonne idée ou affichage ?

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Publié le 13/01/2023
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Dans le cadre du projet de loi immigration, le gouvernement veut créer une carte de séjour réservée aux professionnels médicaux étrangers, afin de mieux répondre aux tensions sur les ressources humaines dans les hôpitaux. Les organisations du secteur saluent une avancée mais qui ne règle en rien les problèmes de fond d'attractivité.
Un sit-in des Padhue, le 15 novembre 2022, pour réclamer le traitement des dossiers en attente

Un sit-in des Padhue, le 15 novembre 2022, pour réclamer le traitement des dossiers en attente
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

L’idée se veut originale dans le contexte de pénurie soignante : la création d'une carte de séjour pour les soignants étrangers, « dès lors qu'ils sont recrutés par un établissement de santé public ou privé à but non lucratif », précise le projet de loi immigration, attendu mi-janvier en Conseil des ministres. « Toutes les opportunités autorisant l'exercice de professionnels étrangers qualifiés ne peuvent actuellement être saisies par les établissements », faute d'un titre de séjour adapté, justifie le gouvernement. Il s'agit aussi de donner des gages aux quelque 5 000 praticiens de santé diplômés hors Union européenne (Padhue) qui exercent dans des hôpitaux publics, dans des conditions souvent précaires.

Dénommée « Talent-professions médicales et de la pharmacie », cette carte de séjour concerne les médecins « quelles que soient leurs spécialités », mais aussi les sages-femmes, chirurgiens-dentistes et pharmaciens étrangers. Deux cas de figure sont prévus. Si le praticien étranger – titulaire d’un contrat de travail d'au moins un an – n'a pas passé les épreuves anonymes de vérification des connaissances (EVC), étape vers l'autorisation de plein exercice, il bénéficiera d'un titre de séjour d'une durée maximale de 13 mois. Dès lors qu'il les aura réussies, le professionnel obtiendra le sésame pour une durée de quatre ans.

Milliers de dossiers en attente

Le projet de l'exécutif « peut être judicieux et créer une ouverture vers l'emploi », mais à condition « d'assouplir toute la procédure en vue d'exercer pour les Padhue », nuance Françoise Henry, secrétaire générale de l'association d'accueil aux médecins et personnels de santé réfugiés en France (APSR). « En 2022, aucune EVC n'a été organisée. Et, pour 2023, nous n'a même pas de date », alerte-t-elle. De surcroît, il y a très peu de lisibilité sur les postes de praticiens associés disponibles. La question centrale de l'intégration de ces praticiens n'est donc pas réglée.  

Président de l’intersyndicale Action praticiens hôpital (APH), le Dr Jean-François Cibien abonde en ce sens. Selon lui, « 4 000 à 5 000 » Padhue seraient en attente du traitement de leurs dossiers, dans le cadre de la procédure d’autorisation d’exercice, dite « stock ». La loi de financement de la Sécu a du moins repoussé la date limite de régularisation du 31 décembre 2022 au 30 avril 2023 – les Padhue dans l'attente poursuivant leur activité sous le nouveau statut de praticien associé.

Le oui mais des fédérations hospitalières

La Fédération hospitalière de France (FHF) préfère voir le verre à moitié plein. La carte de séjour « semble sécuriser l’exercice et la présence sur le territoire de ces professionnels », analyse Vincent Roques, directeur de cabinet de la fédération. Mais au-delà de ce texte, la priorité de la FHF est de « former plus de professionnels et de renforcer l’attractivité des métiers », ajoute-t-il rappelant que 30 % des postes de PH sont vacants.

Même son de cloche à la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP, cliniques), qui exige d'abord un « big bang de la formation et de l’emploi ». Sa déléguée générale, Christine Schibler, est toutefois favorable à « tous les dispositifs susceptibles de soulager temporairement les tensions RH ». Mais cette carte de séjour « devrait concerner l'ensemble des secteurs et pas uniquement le public ». La Fehap (privé non lucratif) estime elle aussi qu’il faut « rendre le secteur plus attractif », plaide son directeur général, Charles Guépratte. Si cette carte de séjour « peut contribuer à aider les établissements à faire face à une pénurie de professionnels qui s’éternise », elle ne constitue « pas une fin en soi »

Salaires au rabais ?

De fait, la question de la précarité chronique du statut des médecins étrangers reste posée. La porte-parole du collectif SOS Padhue, Kahina Ziani, admet que cette loi répondra aux inquiétudes de nombreux praticiens « en grande difficulté pour faire valoir leurs droits de séjour ». Pour autant, elle ne résout pas « l'absence de reconnaissance des Padhue en exercice depuis des années », relativise-t-elle. La praticienne dénonce toujours des « rémunérations injustes comparées à celles de nos confrères à diplôme communautaire ». Et l’entrée en vigueur du statut de praticien associé (PA) le 1er janvier 2023 n'apporterait pas d'amélioration. Les établissements pourront « recruter en masse des médecins étrangers payés 2 200 euros net », alerte le collectif qui craint « une prolongation de la précarité des Padhue »

Une crainte partagée aussi par la Fédération des praticiens de santé (FPS). Son président, le Dr Slim Bramli, met en garde contre « un nouveau stock de Padhue sur des postes non statutaires payés au rabais sans perspectives ». Même si cette nouvelle carte de séjour devrait « éviter des difficultés administratives chronophages ».

Julien Moschetti

Source : Le Quotidien du médecin