En cette période de lourds déficits hospitaliers, le sujet est explosif : y a-t-il eu des gardes non honorées mais rémunérées pour des urgentistes parisiens de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) ? Un article du Canard enchaîné paru le mardi 18 septembre pointe, sources à l’appui, de potentielles « magouilles ». Des médecins urgentistes auraient touché des indemnités et bénéficié de récupérations pour des gardes jamais réalisées. Accusation corollaire du palmipède : certains praticiens (inscrits au tableau mais absents) ont utilisé les plages horaires libérées pour des activités privées annexes (tout en cumulant l’indemnité de service public exclusif). Pendant que des collègues complices enchaînaient les gardes sans repos…
Le CHU a procédé à des vérifications et à un recouvrement
Contactée, l’AP-HP affirme qu’elle « ne cautionne aucune pratique qui serait contraire à la loi, aux règlements ou à l’éthique. C’est bien pour cette raison que des enquêtes internes sont systématiquement diligentées et des mesures prises si des faits sont confirmés ». Le CHU francilien fait savoir au Quotidien que « faisant suite à plusieurs alertes », la direction de l’hôpital Necker, qui gère administrativement le Samu 75, « a procédé à des vérifications concernant le respect des règles relatives au temps de travail médical, à la déclaration du temps, au repos de sécurité et aux dépenses de permanence des soins du Samu de Paris » sur les exercices 2022 et 2023.
Ces vérifications ont conduit à « régulariser la situation d’un des professionnels du Samu de Paris par un rappel de sommes considérées comme indûment perçues à ce titre, ces sommes ont été remboursées ». Plusieurs milliers d’euros, selon Le Canard. Depuis, « aucune nouvelle situation de cette nature n’a été signalée », communique encore l’AP-HP. Ces pratiques en question « étaient concentrées sur très petit nombre de professionnels ; un seul cas est avéré et a fait l’objet de ce recouvrement », précise-t-elle.
Joint au téléphone, le Dr Éric Revue, chef des urgences de l’hôpital Lariboisière, rapporte que, dans son service, les nouveaux logiciels assurent une transparence permettant d’éviter ce type de dérives. Le cas avéré au Samu de Paris serait donc, pour lui, isolé. En revanche, il note l’aspiration qu’ont certains urgentistes, pour des raisons pécuniaires, d’enchaîner des gardes dans le privé, ce qui est interdit pour les praticiens à temps plein. Certains travaillent-ils pendant leurs repos ? « Il est difficile de tracer l’activité dans les cliniques », note-t-il.
Sommes astronomiques réclamées dans le 93
Dernier point de l’affaire révélée par Le Canard : deux médecins du Smur pédiatrique du 93 réclament des sommes allant jusqu’à plus de 350 000 euros, pour des paiements de gardes imputées à d’autres blouses blanches. L’AP-HP confirme, là encore, au Quotidien que des signalements ont été reçus par le siège de CHU et que l’enquête lancée est en cours de finalisation. « Sur le fondement du rapport définitif, si des mesures doivent être prises, elles le seront », fait savoir le CHU.
Interrogé sur ces révélations, le Pr Rémi Salomon, président de la CME de l’AP-HP, a déclaré sur France Info que « c’est évidemment inacceptable et répréhensible. Il faut mettre de l’ordre là-dedans ». Contacté, le Pr Frédéric Adnet, ancien patron du Samu de Seine-Saint-Denis et depuis l’été 2023 chef du Samu de Paris, n’a pas souhaité en l’état répondre à nos sollicitations. Quant au ministre délégué à la Santé démissionnaire, Frédéric Valletoux, il a surtout souligné à propos de cette histoire l’« enjeu de sécurité pour les patients », pointant les urgentistes qui enchaînent les gardes sans repos.
Un secret de Polichinelle ?
Le Dr Éric Reboli, président du Syndicat national des médecins remplaçants hospitaliers (SNMRH), n’est pas étonné par ces révélations, évoquant au Quotidien un « secret de Polichinelle ». Il soutient que certaines pratiques déviantes sont connues, y compris chez des anesthésistes de l’AP-HP. « Des médecins font des fausses astreintes payées pour gonfler leurs salaires. Résultat, ils font 8 heures de travail effectif, pour 12 heures sur le bulletin de salaire, avec la prime d’astreinte de nuit ! », explique-t-il. Mais, ajoute-t-il, ces systèmes frauduleux relèvent davantage de brebis galeuses que d’une pratique généralisée.
Président de l’intersyndicale Action praticiens hôpital (APH), le Dr Jean-François Cibien se montre prudent. « Peut-être qu’il se passe des choses à l’AP-HP et peut-être y a-t-il eu des malversations, je n'en ai aucune preuve. Si c’est le cas, il y aura une enquête administrative et éventuellement des suites judiciaires, en fonction des éléments constatés. Le temps de l'enquête, la présomption d’innocence s’appliquera et j’attendrai les conclusions pour me positionner ». Il rappelle le haut niveau de contrôles réglementaires du tableau de garde. « Il ne faut surtout pas jeter l’opprobre sur tous les urgentistes travaillant dans les autres Samu et qui se conforment aux règles en vigueur. »
L’ancien ministre de la Santé François Braun n’a pas eu connaissance de ces arrangements. « Je n’en ai jamais eu vent, affirme-t-il au Quotidien. Ce qui existe, c’est que les médecins fassent de l’administratif après leur garde et le comptent en temps de travail, ce qui est normal », explique celui qui fut aussi président de Samu-Urgences de France. L’urgentiste trouverait a contrario « malhonnête et condamnable » de se faire payer « aux deux râteliers » : autrement dit de ne pas honorer sa garde pour travailler à la place dans le privé.
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