LE QUOTIDIEN – Quel est l’enjeu principal auquel se trouvent confrontées les maisons de retraite ?
ROSE-MARIE VAN LERBERGHE – La reconnaissance de leur professionnalisme, qui n’est pas du sanitaire au rabais. Comprendre des signaux non verbaux, offrir des moments de bonheur à une personne ayant Alzheimer, cela ne s’invente pas. Cela s’apprend. Or les professionnels ne se sentent pas reconnus pour cela. Notre société aime l’homme de 75 ans qui gravit l’Himalaya. La dépendance, elle, est taboue. Nous avons du mal à recruter des aides soignantes, pourtant figures majeures de nos établissements. Korian réfléchit à la création d’unités de vie avec un poste nouveau, la maîtresse de maison, qui serait une aide soignante confirmée chargée également d’une partie de l’animation thérapeutique en journée. Du côté des médecins et des infirmiers, il faut travailler sur l’image du secteur. Ils ont été formatés pour guérir. Je l’ai bien vu à l’AP-HP [Assistance publique-Hôpitaux de Paris, NDLR] : prendre en charge quelqu’un sans espoir de guérison pose un problème à l’hôpital où la gériatrie, dans l’esprit de beaucoup, c’est un peu la punition. C’est d’ailleurs là où l’on compte le plus de postes vacants.
La médicalisation des maisons de retraite est-elle un autre enjeu de taille ?
Nous avons cherché à rendre compatibles le libre choix du médecin et la médicalisation de nos maisons de retraite. Comment faire en sorte que les médecins traitants adhèrent aux projets médicaux d’établissement ? La question se pose différemment selon les régions. À Paris, le médecin traitant qui suit la personne âgée en maison de retraite est un cas peu fréquent. Korian prépare une convention pour améliorer les coopérations et faciliter la place du médecin traitant au sein de nos établissements. Parfois, plus encore qu’avec les médecins coordonnateurs, c’est avec les infirmières que les médecins traitants peuvent avoir des rapports délicats. Nous avons mis en place des protocoles garantissant une prise en charge individualisée de chaque patient. L’épreuve de vérité, ce sera la mise en musique du dossier résident informatisé, que nous développons : nous souhaitons vivement que les médecins traitants entrent dans le système.
Votre groupe développe un projet de maison de retraite à bas prix. De quoi s’agit-il ?
Il y a des listes d’attente dans les EHPAD du secteur public habilités à l’aide sociale. Les classes moyennes, c’est un fait, ont de plus en plus de mal à trouver une place dans un établissement médicalisé correspondant à leur pouvoir d’achat. Le privé coûte cher, trop cher pour cette catégorie sociale, car un groupe comme Korian n’a ni subventions, ni le foncier gratuit. À la construction, un lit d’EHPAD en province nous coûte 100 000 euros, et entre 150 000 et 180 000 euros en région parisienne. Autrement dit, c’est un investissement lourd ! L’État le reconnaît, mais en même temps il renforce, souvent légitimement, les normes qui, en trois ans, ont fait grimper notre coût de construction de 30 %. Le prix de journée, à la charge du résident, est en moyenne de 48 euros dans le secteur public, de 51 euros dans le secteur associatif, et de 69 euros dans le privé commercial. Le tarif moyen chez Korian est de 72 euros. Pour répondre aux besoins des classes moyennes nous venons de lancer un projet économique, baptisé « Korian Essentiel ». Nous affirmons pouvoir construire, en ne faisant absolument AUCUN compromis sur la qualité de la prise en charge et des soins, des EHPAD à moins de 60 euros par jour (valeur 2009) à certaines conditions – une taille optimale (un EHPAD de 98 lits divisé en petites unités de vie de 14 ou 24 lits), un nombre de mètres carrés par lit raisonnable (44 m2/lit), des chambres seules de 19 m2 aux normes handicapées. Cette standardisation, associée à un nouveau mode de partenariat avec les pouvoirs publics, permet de baisser le coût de construction de 1 300 à 1 100 euros le mètre carré. Je me suis par ailleurs engagée auprès de mes actionnaires à ce que la rentabilité du capital investi soit la même.
Quel rôle les agences régionales de santé (ARS) jouent-elles sur le dossier ?
La loi HPST [Hôpital, patients, santé et territoires] change les procédures d’autorisation pour la création de lits nouveaux. Jusqu’à présent, les opérateurs privés proposaient un projet en CROSS, validé ou non par la DDASS et le conseil général. Dorénavant, ce sont l’ARS et le conseil général qui vont lancer des appels à projet, définis en fonction des besoins de la population (le prix de journée pouvant être un élément déterminant). C’est un grand progrès. Mais on sent toutefois les ARS occupées par d’autres priorités. Cela retarde le lancement des appels à projet, qui devait débuter au 1er janvier, et a été reporté en septembre, voire à plus tard.
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