Médecins à diplôme étranger

Régularisation des Padhue : le bras de fer continue

Par
Publié le 23/02/2024
Article réservé aux abonnés
Manifestation des Padhue devant le ministère de la Santé, le 15 février

Manifestation des Padhue devant le ministère de la Santé, le 15 février
Crédit photo : Arnaud Janin

À la demande d’Emmanuel Macron, les nouveaux ministres en charge de la Santé se sont saisis du dossier complexe des Padhue. Catherine Vautrin comme Frédéric Valletoux ont pris plusieurs engagements pour sécuriser la situation de ces médecins en grande précarité. Mais leurs défenseurs, mobilisés depuis des mois, doutent. Analyse d’un rapport de force qui s’éternise.

L’arrivée au ministère de la Santé de Catherine Vautrin et de Frédéric Valletoux a marqué une étape dans le long processus de régularisation des praticiens à diplôme hors Union européenne, les Padhue. Sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, la ministre de tutelle et son ministre délégué à la Santé ont à plusieurs reprises donné des gages aux quelque 10 000 de ces médecins exerçant sur le sol français et qui se trouvent dans des situations aussi hétérogènes que, souvent, précaires. Au cœur du nœud gordien : la validation, ou non, des épreuves de vérification de connaissances (EVC), la seule procédure qui les autorise pleinement à travailler dans l’Hexagone.

Dimanche 19 février, Catherine Vautrin l’a redit au micro de RTL : pour ceux qui ont été admis en 2023 et qui travaillaient déjà dans les hôpitaux et cliniques à but non lucratif, « nous avons signé à peine arrivée [au ministère] le décret qui leur permet de rester » dans leur service. Cela concerne 1 500 praticiens, ce qui n’est pas rien.

Pour tous les Padhue qui n’ont pas réussi les EVC, un nouveau concours sera organisé à l’automne 2024, a promis la ministre. Entre 2 000 et 3 000 médecins sont dans cette situation de grande insécurité statutaire. Dans l’intervalle, la loi Valletoux sur l’accès aux soins, publiée le 27 décembre 2023, les autorise de manière dérogatoire à continuer à travailler sur le sol français, même sans le précieux sésame. À l’antenne de France Info, le 16 février, Frédéric Valletoux s’est réjoui de pouvoir offrir bientôt à ces médecins non pas un « statut intermédiaire, comme c’était le cas, mais un vrai statut ».

Reculer pour mieux sauter

Pour le gouvernement, ces annonces font figure d’avancées importantes vers la régularisation des Padhue. Mais la lecture des représentants syndicaux et associatifs de ces médecins essentiels au bon fonctionnement des établissements de santé est radicalement différente. Pour eux, la réponse de l’État a pour objectif d’apaiser la colère du secteur et trouver une parade à moyen terme à la précarisation des Padhue, mais sans pour autant sécuriser à 100 % chacune des situations personnelles sur le long terme.

Des textes réglementaires – dont deux arrêtés techniques sur les choix d’affectation post-EVC 2023 – sont bien sortis des tuyaux du ministère de la Santé, mais certains, cruciaux, manquent encore à l’appel. Concrètement, l’article 35 de la loi Valletoux accorde aux Padhue non diplômés en 2023 une attestation provisoire d’exercice de 13 mois. Une décision qui réclame, pour être appliquée, un décret en Conseil d'État, qui attend toujours de voir le jour.

Dans l’attente de ce régime dérogatoire, l’avenue Duquesne a donc déclenché un autre… régime dérogatoire, via la publication le 12 février d’une instruction à l’intention des agences régionales de santé (ARS). Sa délivrance est conditionnée à deux éléments : une attestation d’un chef de service apportant la preuve d’une pratique de la médecine en 2023 ; et surtout, l’engagement de se présenter aux EVC de 2024, qui se tiendront « à l’automne », a confirmé Catherine Vautrin sur RTL.

Or ce concours très sélectif n’a ouvert en 2023 que 2 700 places pour 6 900 candidats. Seuls 1 500 médecins ont bien réussi leur examen. Le nombre de postulants resté sur le carreau est conséquent.

Sensation de trompe-l'œil

Cette sensation de trompe-l'œil ne quitte pas les défenseurs des Padhue, qui se mobilisent sans relâche depuis des mois pour que derrière la parole politique, les actes suivent. Des mobilisations ont eu lieu les 29 novembre, 21 décembre, 19 janvier et 15 février. Ce bras de fer prolongé a payé au sortir de la dernière manifestation. Reçue ce jour-là, une délégation a obtenu certains gages, que le ministère a confirmés au Quotidien.

La première promesse concerne les Padhue qui n’ont pas réussi les EVC 2023 et, dans l’attente d’une réponse politique, ont vu leur contrat se terminer au 31 décembre 2023. Syndicats et associations évoquent 85 médecins « licenciés ». Qui seront « réintégrés » au système de santé français, a assuré le ministère.

Les praticiens à diplôme hors Union européenne sont toujours menacés d’expulsion

Dr Olivier Varnet, SNMH-FO

Deuxième point : quatre obligations de quitter le territoire (OQTF) ont été formulées à l’encontre de Padhue. Le ministère de la Santé l’affirme : ces situations seront « réglées » en accord avec Beauvau.

Troisième avancée, salariale celle-ci : les Padhue qui ont vu leur statut de praticien attaché associé, déjà précaire, relégué à celui de stagiaire associé et subi pour l’occasion une diminution de leur salaire de 30 %, retrouveront leur rémunération antérieure.

Restait le gros morceau : les EVC, une sélection par concours annuel que tous les syndicats de Padhue contestent, lui préférant une régularisation sur dossier, au regard de l’expérience de plusieurs années passées en France de certains médecins. Sur ce point, les représentants du ministère ont concédé que « ce système doit évoluer ». D’autres procédures d’évaluation qui tiendraient davantage compte des états de service sur le territoire sont en cours de réflexion. En d’autres termes : les quelque 10 000 Padhue exerçant déjà sur le sol français seraient évalués d’une manière différenciée de ceux inscrits aux EVC mais qui exercent à l’étranger. Selon la conférence des doyens, ils seraient 8 000.

Sur le qui-vive

Malgré ces petites victoires, les avocats des Padhue, qui ont compris que le rapport de force commence à payer, restent sur le qui-vive. « L’instruction ministérielle que nous avons reçue est floue et les Padhue sont toujours menacés d’expulsion, affirme le Dr Olivier Varnet, du Syndicat national des médecins hospitaliers-Force ouvrière (SNMH-FO). Tant que les Padhue n’auront pas de statut pérenne, tant que les EVC les maintiendront dans la précarité, nous resterons mobilisés. » Le syndicaliste, comme l’ensemble des acteurs, attend de pied ferme le décret d’application de la loi Valletoux pour les Padhue non diplômés et celui de Catherine Vautrin pour confirmer à leur poste les diplômés. Un deuxième texte signé mais à ce jour ​​​​​​​pas encore publié.

Anne Bayle-Iniguez et Arnaud Janin

Source : Le Quotidien du Médecin