« Il faut maintenant faire des choix clairs de réorganisation » : en ciblant l’hôpital, dans son rapport « charges et produits » censé aider le gouvernement à préparer le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), l’assurance-maladie place l’exécutif devant des choix difficiles.
Pour la CNAM, un des principaux gisements d’économies, évalué à 326 millions d’euros pour 2015, réside dans ce fameux « virage ambulatoire » promis par Marisol Touraine, mais jamais explicité. « Cela consiste, chaque fois que cela est possible, à écourter ou à éviter les séjours en milieu hospitalier », expose l’assurance-maladie.
Sur le papier, l’équation est simple : l’utilisation « au plus juste » des plateaux techniques et des lits d’aval procurera des économies rapides, sans nuire à la qualité des soins grâce au progrès technique, aux bonnes pratiques et au rôle accru de la médecine de ville. Mais où tailler dans le vif ? Le gouvernement s’est toujours gardé de citer des mesures précises tant le chantier est miné. La CNAM a eu moins de scrupules en préconisant des actions concrètes qui percutent l’organisation des hôpitaux (lits, services, processus de soins, habitudes) mais aussi des cliniques.
Maternité : 800 000 journées en trop !
Sur la maternité, la CNAM s’appuie sur les comparaisons internationales (tableau) qui montrent que les durées moyennes de séjour (DMS) sont élevées dans l’Hexagone : 4,2 jours pour un accouchement par voie basse contre 3 jours dans la moyenne OCDE et dans les recommandations de la HAS. « Il y a un potentiel de réduction significative de la DMS, et corrélativement du nombre de lits de maternité », en déduit la caisse.
Ce raccourcissement de la durée de séjour à 72 heures pourrait être atteint « sur cinq ans », permettant d’éviter 800 000 journées d’hospitalisation. Faut-il restructurer le tissu des maternités, les blocs opératoires ? Pas forcément, juge la CNAM. Mais cet objectif suppose que les mamans bénéficient d’un suivi organisé en aval, d’où l’offensive de l’assurance-maladie pour généraliser son programme PRADO sur l’accompagnement à domicile. La CNAM voudrait même étendre ce protocole aux césariennes sans complications (130 000 séjours) dont la durée d’hospitalisation est, là encore, supérieure en France aux recommandations (6 jours versus 4 à 5 jours). Reste à savoir sur la baisse de la durée de séjour peut se décréter sans fragiliser des maternités déjà fragiles...
Prothèses de hanche et de genou : objectif 6 jours...
Autre potentiel d’économies : la chirurgie orthopédique (1,8 million d’opérations en 2012). L’activité se caractérise par une grande variabilité des durées de séjour selon les établissements. La caisse vise les prothèses de genou et de hanche, pour un coût de 2,3 milliards d’euros. Sur la chirurgie de la hanche, un hôpital sur cinq affiche des durées moyennes de séjour inférieures à 8 jours alors que la même proportion se situe au-delà de 11 jours... Dans son rapport, la CNAM fixe des objectifs « raisonnables » : 6 jours pour la prothèse de hanche et de genou (au lieu de 8,4 et 8,8 aujourd’hui hors traumatologie). Là encore, la prise en charge en aval par la ville devra être renforcée. Mais « ajuster » les pratiques signifiera supprimer ou transformer des lits.
L’assurance-maladie fait valoir que les hôpitaux qui ont un niveau d’activité plus faible « gardent » plus longtemps leurs patients. Du coup, elle recommande un volume minimal d’activité pour les plateaux techniques. Cette évolution (qui supposerait une mutualisation des moyens) est à piloter « par le ministère de la Santé et les ARS », relève la caisse.
SSR : 41 500 séjours superflus
L’assurance-maladie cible également les séjours « évitables » en soins de suite et de réadaptation post-chirurgie orthopédique. Sur les 1,8 million de séjours d’orthopédie, 246 000 (soit 14 %) donnent lieu à un séjour en SSR, avec des pratiques d’adressage extrêmement variables. Pour la caisse, 17 % des patients pourraient éviter un passage en SSR (41 500 séjours en moins) et bénéficier d’une rééducation en ville ou à domicile, moins coûteuse.
Enfin, la CNAM muscle l’objectif du gouvernement en matière de chirurgie ambulatoire, estimant que le taux pourrait atteindre 55 % en 2017 (Touraine vise 50 % des interventions en ambulatoire en 2016). Sur les 5,4 millions de séjours de chirurgie, 10 % pourraient basculer de l’hospitalisation complète à l’ambulatoire, calcule l’assurance-maladie. Une fois encore, cela suppose de supprimer des surcapacités en chirurgie conventionnelle, de rationaliser l’organisation hospitalière (unités dédiées à l’ambulatoire) et de changer les mentalités.
Réaliser des économies sans braquer l’hôpital : le virage ambulatoire est aussi un virage risqué.
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