Tout a débuté par un pli discret, glissé dans le casier d’une poignée de médecins de l’HEGP par une main mystérieuse. À l’intérieur, un tableau et un mail imprimé, daté du mois de février.
Stupeur de ce chirurgien lorsqu’il a décacheté l’enveloppe, fin mars. « Je n’avais jamais entendu parler d’un tel fichier », s’étrangle-t-il. Le tableau détaille l’activité de tous les chirurgiens de l’HEGP, et d’une partie des anesthésistes-réanimateurs : nombre d’interventions, minutes passées au bloc, comparaison entre 2012 et 2013. Le mail, signé de la directrice, est adressé au doyen et au président de la CME locale. Anne Costa a surligné certains noms de médecins en bleu, d’autres en jaune. Les premiers sont qualifiés de corrects. Les seconds de « faiblards ». Des appréciations parfois peu flatteuses sur tel ou tel agrémentent le propos.
Le procureur de la République de Paris saisi
Jeudi dernier, six chirurgiens ont déposé plainte au pénal. Une enquête va être ouverte. Leur avocat, Me Rodolphe Bosselut, affirme qu’un tel classement tombe sous le coup de la loi. « Des statistiques ne peuvent être nominatives », dit-il. De son côté, la direction juridique de l’AP-HP reproche aux plaignants d’avoir détourné les documents. « N’inversons pas les rôles, recadre l’avocat. La preuve est recevable en droit pénal quelle que soit son origine ».
Ni le doyen Patrick Berche, ni la directrice Anne Costa, n’a souhaité s’exprimer. Le président de la CME de l’HEGP n’a pu être joint. Commentaire elliptique du siège de l’AP-HP : « Une réponse sera apportée prochainement au sujet ». Interpellé en CME centrale, Martin Hirsch, DG de l’AP-HP, a reconnu l’existence du fichier. Selon diverses sources, d’autres hôpitaux de l’AP-HP procéderaient de même.
Guerre de succession
À l’hôpital Pompidou, le malaise est grand. Ce chirurgien classé jaune est très remonté. « On est donc revenu à l’époque des étoiles ?, lance-t-il, furieux. Il faut que l’Ordre intervienne. Nos pairs [doyen et président de CME] ne peuvent cautionner cela ». Ce PU-PH rebondit : « Aucun problème pour qu’on surveille mon activité, à condition que je sois au courant, que j’ai un droit de rectification, et que la CNIL soit dans la boucle. Ce n’est pas le cas. Et les chiffres sont faux ». Un troisième chirurgien, pourtant classé bleu, est lui aussi en colère. « On me juge bon parce que je fais de l’abattage ? Que fait-on de la qualité ? On marche sur la tête! Cette mise sous pression des médecins est inacceptable ».
L’affaire se déroule sur fond de guerre de succession pour remplacer plusieurs chefs de service sur le départ. Le Pr Jean-Noël Fabiani, patron de la chirurgie cardiaque, trouve normal qu’on sache « qui fait quoi » dans son service pour choisir son successeur. « Mais la méthode n’est pas la bonne ». En anesthésie, trois candidats sont en lice. Un nom fait consensus parmi les chirurgiens, lesquels suspectent la directrice d’utiliser le fameux fichier afin de disqualifier certaines candidatures. « En orthopédie, Mme Costa a choisi un médecin de Beaujon, l’hôpital d’où elle vient. On craint qu’elle ne fasse pareil en anesthésie-réanimation », glisse un chirurgien.
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