GRAVES ET ENVAHISSANTS dans la vie de tous les jours, les troubles psychiques, qui élargissent désormais le cercle des maladies mentales, psychoses ou névroses, restent tabou dans notre société. Pourtant, leurs répercussions résonnent au quotidien dans l’actualité. Suicide au travail, troubles psychiques conduisant à des délits voire des crimes : sombres conséquences d’années d’errance et d’exclusion en l’absence de solutions de prise en charge adaptée. « L’attention des médias et de l’opinion publique reste focalisée sur ces sujets certes graves, mais tellement réducteurs par rapport à l’enjeu de la santé mentale en France », regrette le sénateur Alain Milon auteur du rapport sur la prise en charge psychiatrique établi l’an dernier. Le constat est alarmant : un million de malades mentaux, dans leur famille, en attente de solutions. Des situations cachées et dévastatrices, car la souffrance du malade entraîne l’épuisement et la vulnérabilité y compris de l’entourage. Engendrant des manifestations de déni, rejet voir d’abandon, la souffrance psychique tend parfois jusqu’à la rupture, le lien social.
Principale cause d’invalidité et d’arrêts-maladie, les maladies mentales entraînent un risque de précarisation. Un tiers des SDF souffriraient de troubles graves alors que les dizaines de milliers de lits supprimés dans les hôpitaux, « au nom de la fin de l’asile », n’ont été remplacés par rien d’autre. Condamné à l’errance, certains échouent en prison où ils s’enfoncent encore un peu plus dans la maladie. Aujourd’hui 20 % de la population carcérale relèveraient de la psychiatrie en l’absence de solution adaptée. Des évolutions ont pourtant bien eu lieu, mais loin de la prise en charge, elles sont pour l’heure de seule nature juridique.
Le débat sur la contrainte.
Depuis 5 ans, la maladie mentale et sa conséquence de handicap psychique entrent dans le périmètre de la loi. Patrick Gohet, ancien délégué interministériel aux personnes handicapées, actuel président du Conseil national consultatif des personnes handicapées, se souvient des difficultés rencontrées à l’époque. Il estime que nous n’en voyons pas encore tous les résultats alors que se pose la question d’une loi spécifique sur la santé mentale. Patrick Gohet rappelle que l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé l’appelle de ses vux pour répondre plus efficacement aux besoins croissants. « On ne peut plus se contenter de mesures éparses d’inspirations diverses. Seulement 2 % des budgets de recherche y sont consacrés alors que les maladies mentales représentent 20 % des maladies », rappelle-t-il.
La société, habituée à se protéger des malades dits « dangereux », s’éloigne peu de cette approche qui inquiète sénateur Milon. Les plus récentes dispositions prises s’inscrivent dans le Code pénal, et Alain Milon regrette que « le ministère de la Santé affiche dans ce domaine bien peu d’ambition ». Avec la réforme de l’hospitalisation sous contrainte, « le sujet sera de nouveau traité de manière isolée, privant la psychiatrie d’une vision d’ensemble », regrette-t-il.
Pour Hélène Strohl, inspecteur général des affaires sociales, il est temps de parler de l’utilisation de la contrainte en psychiatrie. « Dans un petit nombre de cas, on peut considérer que son utilisation est nécessaire pour des malades pendant un temps précis. Ceci implique un diagnostic de sévérité des troubles, accompagné d’un pronostic de chronicité. » Ce que le Dr Denis Maquet, chef de service à l’hôpital de Maison-Blanche, refuse catégoriquement de réaliser, « compte tenu des potentialités cachées et des changements enregistrés chez les patients à tous les stades ».
Plus d’efforts dans la société civile.
Les experts s’accordent sur l’urgence de décloisonner le système sanitaire, désormais dépassé par les besoins en constante augmentation. En France, 6 % de la population est touchée par une maladie mentale et seulement 1 % dispose d’un suivi adapté. Les besoins comme les souffrances sont immenses. Dans le seul domaine du logement, la construction de résidences d’accueil reste très attendue pour accueillir ces personnes vulnérables, pauvres et fragiles. « Des financements qui se font attendre alors que la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie a rendu 300 millions d’euros de budget non consommé à l’État l’an dernier », ne s’explique pas un père désarmé. C’est aussi un droit revendiqué à la culture, un accompagnement spécifique avec des activités, le montage de groupes d’entraide qui ne seraient qu’au nombre de 330 en France. « Cela fait 40 ans que ces malades sont sur le bord de la route et nous attendons encore des solutions adaptées à leurs besoins en alliance avec les politiques, les soignants et les acteurs du social et du médico-social. »
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