Pas d’été sans polémique sur les urgences. Une nouvelle controverse a surgi le 20 août quand Frédéric Valletoux, ministre délégué de la Santé démissionnaire, a évoqué une « cinquantaine d’hôpitaux » seulement en tension par manque de personnel (sur 650 services d’urgences en France), une situation qu’il jugeait par ailleurs « meilleure » que celle des années passées. De quoi provoquer la colère de Samu-Urgences de France (SUdF) et de l’intersyndicale Action Praticiens Hôpital (APH) qui, dans le contexte des Jeux olympiques, a décerné au ministre une médaille d’or « pour sa mauvaise foi ».
Qu’en est-il sur le terrain ? La réalité est-elle édulcorée ? En 2023, syndicats et collectifs hospitaliers avaient sonné l’alarme pour manifester leur colère. Mais en 2024, la résignation ou l’amertume semblent prédominer.
Des plannings à trous
Depuis deux ans, la situation de tension par manque de bras a, de facto, abouti à des organisations palliatives et à une adaptation permanente qui épuisent les équipes, pour que le système ne craque pas totalement. Très instructive, une étude de la Drees (ministère) publiée mi-juillet montre que le mode dégradé est devenu une habitude, parfois la norme. Ainsi, 8 % des points d’accueil des urgences ont dû fermer au moins une fois entre mi-mars et mi-juin 2023, 23 % ont mis en place un accès régulé au service, au moins sur certains créneaux horaires. Au cours d’une semaine évaluée, 19 % pointent un manque de médecins pour remplir les plannings.
Le Dr Marc Noizet, président de SUdF, décrit un tableau sombre. « Des lignes d’urgence, de Smur ferment partout, recadre-t-il. Elles servent de variables d’ajustement en fonction des tensions sur les RH, qui sont toujours aussi présentes. Cela fait trois années de suite qu’on fait ce constat. Nous ne pouvons pas accepter tout le temps d’être en fonctionnement dégradé. »
La régulation, une habitude
Lanceuse d’alerte, la Dr Caroline Brémaud, ex-cheffe du service des urgences de Laval, destituée de sa fonction en 2023, souligne depuis longtemps cette dégradation continue. « L’été, il est devenu habituel que les urgences soient fermées la nuit ou à accès régulé par le 15. En 2021, c’était la première fois que cela arrivait dans un service de notre taille. Nous avons fait beaucoup de bruit médiatique, ce qui n’a pas plu aux autorités sanitaires ni au directeur… » Les grands centres hospitaliers ne sont plus épargnés. En mai 2022 déjà, la fermeture des urgences adultes de nuit par le CHU de Bordeaux avait provoqué un émoi considérable. Cet été, c’est le CHU de Brest qui se retrouve sous le feu des critiques, avec des patients âgés qui ont attendu des heures sur des brancards. La CGT du CHU a affiché les cas les plus emblématiques sur un « mur de la honte ».
Même situation au CHU de Caen, où 19 praticiens (sur la trentaine de permanents de l’équipe d’urgentistes) avaient entamé un mouvement de grève à partir du 12 juillet. En cause, un temps d’attente jugé démesuré, allant jusqu’à 24 voire 48 heures. L’un des trois jeunes chefs de clinique à l’initiative du mouvement s’en est expliqué : « On peine à remplir le planning d’été. Le mois prochain, il nous manque la moitié des médecins ».
Pierre Schwob Tellier, leader du Collectif Inter Urgences (CIU) et infirmier à l’hôpital Beaujon (AP-HP), décrit l’impact délétère, à ses yeux, sur la prise en charge. « La réalité ? Nous faisons un tri. En général, les personnes âgées ou fragiles sont les premières à être “sacrifiées”. C’est devenu malheureusement une habitude de dire que l’hôpital s’effondre. » Dans la même veine, le Dr Arnaud Chiche, fondateur du collectif Santé en danger, dresse le constat d’une détérioration globale, en dépit de propos officiels rassurants. « En réalité, on officialise un fonctionnement dégradé », regrette l’anesthésiste.
La généralisation de la régulation des soins urgents et non programmés (SAS) vers la médecine libérale se fait attendre
Des SAS qui prennent leurs marques
Depuis la mission flash de François Braun sur les urgences en 2022, l’exécutif n’est pourtant pas resté inactif, notamment sur le terrain tarifaire, avec la pérennisation de la revalorisation des gardes de nuit. Mais parmi les réformes majeures en cours de déploiement pour soulager les urgences, le service d’accès aux soins (SAS) « n’a pas donné tout son potentiel », diagnostique le Dr Noizet. Cette plateforme de régulation des soins urgents et non programmés vers la médecine libérale a porté ses fruits en matière de psychiatrie, de pédiatrie ou de gériatrie, admet-il. Mais le manque de médecins et d’assistants de régulation médicale reste un frein et la généralisation complète des SAS se fait attendre.
Le rééquilibrage des contraintes de permanence des soins entre hôpitaux et cliniques, prévu par loi Valletoux de décembre 2023, devrait soulager la pression sur le secteur public à la faveur d’une approche graduée, plaide aussi l’exécutif. « On récupère aux urgences tout ce que les autres n’arrivent plus à faire, insiste encore le Dr Noizet. Mais si on renforce l’offre en ville dans sa capacité à gérer ses patients et que les spécialistes gèrent différemment leur file active, on aura moins de patients aux urgences. »
Quant à la refonte des autorisations de médecine d’urgence, elle n’a été mise en place qu’à partir de début 2024. L’instauration d’antennes d’urgence (permettant une plus grande souplesse dans la mise en place du maillage de l'offre de soins) ou d’infirmiers libéraux correspondants du Samu prendra du temps.
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