LE QUOTIDIEN : Comment s’est déroulée, au sein du dispositif médical, cette journée de messe au vélodrome ?
Dr FOUZIA HEIRECHE : Elle s’est parfaitement déroulée, tout le monde était à son poste et savait ce qu’il avait à faire. C’est le fruit d’une préparation commencée il y a un an. Dans le stade, il y avait 62 000 personnes. Tous les services de l’État - Élysée, préfecture, direction générale de l'offre des soins (DGOS), Direction générale de la santé (DGS), agence régionale de santé (ARS), médecins du Samu et des marins-pompiers - travaillent ensemble depuis des mois pour mettre en place le dispositif prudentiel de secours (DPS).
Côté Samu, 18 professionnels - médecins, infirmiers, ambulanciers, superviseurs et assistants de régulation médicale - ont été déployés, en plus des quelque 30 personnes qui assuraient le fonctionnement normal des appels au 15. Des antennes médicales sont déployées à plusieurs endroits du stade. Le commandement médical, où je suis postée avec le Dr Cédric Boutillier du Retail, médecin-chef du bataillon de marins-pompiers de Marseille, et Yann Roulleau, officier de Marine et officier du bataillon de marins-pompiers, prend le relais si besoin. Au total, 50 consultations médicales ont eu lieu, deux cas nous ont été remontés - un en traumatologie et un malaise – avec deux évacuations vers des hôpitaux à la clé.
Pouvez-vous expliquer ce dispositif exceptionnel et le rôle du Samu ?
Le dispositif positionné à l’intérieur du stade se complète d’un poste de commandement mobile et d’un Smur sur le parvis du stade, de la salle de crise au Samu, d’une représentation Samu par son chef de service, avec le Dr André Puget au centre opérationnel départemental (COD) à la préfecture, le Smur pape, qui a suivi le pontife dans tous ses déplacements et un Smur à Sainte-Marguerite. On est préparé à tous les scénarios, avec notamment un bloc et une salle de réanimation sous haute sécurité réservée au pape. Le scénario d’un afflux massif de victimes est naturellement prévu.
Ce dispositif peut évoluer très vite en cas de crise. Les victimes, en fonction du degré d’urgence dans lequel elles se trouvent, sont triées sur place en deux temps – au moyen d’un code à quatre couleurs, dont le noir. Première phase, l’évacuation des victimes vers les équipes d’abords de site (petite noria) puis deuxième phase, leur évacuation vers les hôpitaux (grande noria). En cas d’attaque terroriste, les victimes sont enregistrées grâce au système d’information numérique standardisé (SINUS), sans nom pour les personnalités.
Quelles sont les évolutions dans la couverture de tels événements ?
Les attentats qui ont eu lieu sur le territoire français, à Paris en 2015 et à Nice en 2016, ont changé nos manières de faire. Prendre en charge des victimes, légèrement blessées ou en urgence absolue, nous savons faire, c’est notre métier. Mais des centaines de blessés en même temps en multi-sites, c’est autre chose. Nous nous formons en permanence, avec des spécialisations et diplômes universitaires, et des exercices grandeur nature aux différents types de risque, notamment nucléaires, radiologiques, biochimiques et chimiques (NRBC).
La régulation - trier, sélectionner et orienter les victimes - est au cœur de nos missions, c’est la raison pour laquelle nous sommes centraux dans de tels dispositifs. Nos équipes sont composées d’un médecin, d’un superviseur et d’un assistant de régulation médicale (ARM). Cette transversalité, unique à l’hôpital et sur le terrain, est essentielle sur des situations de crise. Les ARM, qui ont été reconnus professionnels de santé en 2023, sont un nouveau métier, avec une école dédiée.
Comment voyez-vous le Samu de demain, en gestion de crise et au quotidien ?
Au niveau des prises en charge individuelles, il y a assez peu de changements. Sur la prise en charge en cas de catastrophe naturelle ou liée à une action humaine, on contrôle par exemple mieux les hémorragies, on est mieux formé et les stratégies de crise ont changé.
Mais les grands bouleversements, ce sont surtout les outils dont nous disposons, en particulier le logiciel SI-Samu qui permet depuis 2018 à tous les acteurs concernés - Samu local et limitrophes, sapeurs-pompiers, ARS, préfecture, DGOS, DGS… - de partager informations et dossiers en temps direct, ce qui est essentiel.
Plus généralement, au quotidien, je verrais un Samu capable d’encore mieux moduler ses réponses, à la fois en déclenchant des équipes paramédicales sur certains appels, comme nous commençons à le faire. Ce qui permettrait dans le même temps de libérer des équipes médicales pour certains cas qui aujourd’hui nécessitent d'extraire des spécialistes de leur service le temps d’un transfert. Enfin, je suis certaine que l’intelligence artificielle pourra nous aider à encore optimiser les tris.
Au cœur de la cellule de crise du dispositif prudentiel de secours
Ce matin du 23 septembre, le Samu 13 au grand complet est sur le pont dès 8 heures. Autour de la Dr Fouzia Heireche, qui coordonne le dispositif prudentiel de secours (DPS), médecins, infirmiers, ambulanciers, superviseurs et assistants de régulation médicale se tiennent prêts.
Le médecin rappelle les points majeurs du DPS, le rôle de chacun et encourage les troupes. La cellule de crise est ouverte depuis la veille dans une salle attenante au lieu de réception des appels au 15. « On ne désarme pas le quotidien pour médicaliser l’événement, toutes nos lignes sont ouvertes », précise la Dr Heireche.
Peu avant 10 heures, après le départ en convoi, les équipes sont en place. C’est le moment de tester les appareils de communication : radio, SI-Samu, micro… La Dr Marianne Cotte, la superviseure Marion Marcengo et l’ARM Armelle Cousin, qui tiennent la cellule de crise, s’installent pour une journée qui promet d’être longue.
Pendant 10 heures, les équipes seront en lien visuel permanent, avec des points toutes les 30 minutes à 1 heure. Les collègues de la régulation quotidienne passent une tête de temps en temps. Ce n’est que vers 19 heures que l’ambiance commencera à se détendre, les participants ayant évacué le stade et le pape François, dans son avion, ayant atteint le « point de non-retour », celui au-delà duquel les urgences du Vatican sont plus proches que celles de Marseille.
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