Portraits croisés

Hôpitaux de Marseille : deux femmes à la tête des urgences dans la tempête

Publié le 24/06/2022
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À l'AP-HM, les Drs Céline Meguerditchian (La Timone) et Aurélia Bordais (hôpital Nord), ont été nommées depuis peu aux manettes des urgences, dans un contexte extrêmement délicat. Deux quadras, non-universitaires, qui exercent depuis plus de 15 ans auprès de leurs équipes. Portraits croisés de ces cheffes de terrain.
A la tête des urgences de l'AP-HM, les Drs Aurélia Bordais et Céline Meguerditchian (de gauche à droite) se battent dans un contexte difficile

A la tête des urgences de l'AP-HM, les Drs Aurélia Bordais et Céline Meguerditchian (de gauche à droite) se battent dans un contexte difficile
Crédit photo : Dr

Dans le service, tout le monde l’appelle Céline et la tutoie. À sa nomination, la Dr Meguerditchian n’a pas voulu prendre le bureau du chef. Elle a préféré garder le sien et rester avec sa « colocataire », son amie la Dr Laurence Gilly, avec qui elle travaille depuis toujours. Leurs deux petits canap', où elles dorment pendant leurs gardes, se font face dans la pièce qu’elles ont décorée au fil des années. « Je fais tout ce que je n’ai pas le droit de faire chez moi ! », plaisante l’urgentiste. Aux murs, les paillettes, le masking tape, les lumières et les photos contrastent avec le couloir gris au-dehors.  

Ce titre, Céline Meguerditchian n’en rêvait pas. « Je suis très bien à ma place de médecin », lâche la PH. Mais sous l’insistance de la nouvelle direction, arrivée il y un an, et de la commission médicale d’établissement (CME) où elle est élue, elle a fini par dire oui. À la suite du départ du Pr Antoine Roch, chef du département des urgences de l’AP-HM, qui chapeautait les deux CHU, elle a donc pris les rênes du service en février. Tout comme son homologue à l’hôpital Nord, la Dr Aurélia Bordais, qui était déjà responsable de plusieurs unités fonctionnelles. 

La médecine d'urgence par vocation 

Les deux femmes se connaissent peu. L'une et l’autre sont deux cheffes de terrain, non-universitaires, engagées depuis plus de 15 ans auprès de leurs équipes. Elles ont presque le même âge, 40 et 43 ans, chacune est mère de deux enfants. Deux Marseillaises attachées à leur ville, où elles ont grandi et fait leurs études.  

Elles ont choisi la médecine d’urgence par vocation, comme l’hôpital public. Et depuis quatre mois, elles ont la tête dans le guidon, dans un contexte particulièrement difficile, en raison de la forte activité et des tensions extrêmes sur les ressources humaines. Soins mais aussi recrutement, formation, gestion des flux, management, cohésion d'équipe : elles essayent par tous les moyens de « sauver » leur service, une mission qui, à bien des égards, les dépasse. 

Sous-effectif médical majeur

À l’hôpital Nord, la Dr Aurélia Bordais aborde ce défi « très concentrée, en mesurant pleinement la difficulté de la tâche et la charge qu’elle représente ». Avec 62 000 passages en 2021, elle ne cache pas son inquiétude. « L’effectif médical est sous-évalué par rapport aux besoins parce qu’il n’a pas suivi l’augmentation constante et inéluctable de l’activité depuis des années », explique-t-elle. En raison d’absences liées à des congés (maladie, maternité ou paternité) non remplacés, « le service se retrouve avec un sous-effectif médical majeur sur l’été », souligne la responsable. En cette saison touristique, les pics d’activité sont fréquents : jusqu’à 220 passages par jour, au lieu de 180 en moyenne…  

À La Timone, sa consœur Céline Meguerditchian se démène dans un contexte « cataclysmique ». Son service est fragilisé par un départ massif de médecins – certains annoncés bien avant sa prise de fonction. « On est à l’effectif minimal pour tenir », résume la cheffe des urgences. La situation ? 13 praticiens seniors en poste au lieu de 32 pour 250 entrées par jour en moyenne. La journée, ils sont quatre – au lieu de neuf – idem la nuit (au lieu de cinq). Quatre orthopédistes étrangers sont en cours de recrutement. « Ma crainte, c’est que les équipes s’épuisent et qu’en septembre, il y ait encore plus de départs », redoute la jeune quadra, rappelant volontiers qu'elle n'est « que médecin et cheffe de service, pas membre de l’ARS ». « La médecine d’urgence, c’est palpitant, souligne-t-elle. Le travail y est intense, il demande un investissement viscéral. » 

L'engagement des équipes, le collectif, l’accès aux plateaux techniques de l’AP-HM mais aussi l’accueil inconditionnel à la porte des hôpitaux, c’est aussi ce qui fait vibrer la Dr Aurélia Bordais, au cœur des quartiers Nord.  

François Crémieux, DG : « Grâce à des leaders comme elles, on va remonter la pente »  

Dans la tempête, le soutien de la nouvelle direction les aide à tenir. « Quand j’envoie un mail au DG, il me répond dans la demi-heure. Il est venu faire une garde avec moi », confie Céline Meguerditchian. Le directeur général de l’AP-HM, François Crémieux, salue « deux femmes remarquables » en qui il a « une immense confiance ». « Par leur charisme, leur dynamisme et leur investissement, elles vont recruter, certifie le patron des hôpitaux universitaires de Marseille. Parce qu’elles donnent envie de travailler même dans des services d’urgences incroyablement compliqués, où le travail est difficile. Grâce à des leaders comme elles, je suis certain qu’on va remonter la pente. »

Appelée au chevet d’une patiente, la Dr Aurélia Bordais illustre la difficulté de la tâche : « Là, il faut porter le système. » Sourire caché derrière son masque, elle fait signe avec ses bras qu’elle soutient la coque d’un navire qui prend l’eau. Comme si le fait d'écoper et de boucher les trous ne suffisait plus. « On a l'obligation d’y arriver. Comment faire autrement ? C’est une telle responsabilité », lance la cheffe, toujours optimiste mais consciente d’être au cœur d’un système de santé qui dysfonctionne, en amont comme en aval des urgences. 

Natacha Gorwitz

Source : Le Quotidien du médecin