Après « 13 novembre : vivre avec », « Enfance abusée » ou « Le Feu sacré », le nouveau documentaire d’Éric Guéret, « Premières Urgences », se déroule aux urgences de l’hôpital Delafontaine (Saint-Denis). Durant six mois, le réalisateur a suivi le parcours de cinq internes en stage dans le service du Dr Mathias Wargon. En avant-première, « Le Quotidien » a rencontré Éric Guéret, dont le film sortira en salle le 16 novembre.
LE QUOTIDIEN : Pourquoi faire un film sur l’hôpital à travers le prisme de jeunes internes ?
ÉRIC GUÉRET : Je voulais faire un film sur l’hôpital public, qui souffre énormément de la pénurie de personnel. Il me semblait pertinent de suivre des internes, les médecins de demain, pour savoir si l’hôpital public leur donnera envie de rester. Plus de 20 % des services d’urgence sont en souffrance car les soignants sont en burn-out, en arrêt de travail ou tout simplement déjà partis. La plupart des urgences tournent grâce au soutien des médecins à diplôme étranger. Donc, si les médecins de demain n’ont plus du tout envie de travailler à l’hôpital public, celui-ci est en grand danger.
Est-ce que ce stage à l'hôpital Delafontaine a renforcé ou fragilisé leur vocation ?
Je ne dévoilerai pas tout sur le documentaire mais on peut dire que l’hôpital public n’est pas assez attractif pour attirer les jeunes médecins français. Le film a un côté « hommage à l’hôpital », car c’est un service qui tourne et soigne tout le monde gratuitement. Mais il montre aussi toutes les fragilités de l’hôpital, dont le système repose essentiellement sur l’engagement des soignants. S’ils partent, c’est aussi parce qu’ils sont maltraités ! Les jeunes médecins ont le choix entre aller dans une clinique privée et gagner le double en faisant des horaires assez souples, ou s’engager dans l’hôpital public dans des conditions difficiles. On comprend qu’ils n’aient pas forcément envie d’y rester…
Dans le film, le Dr Wargon souligne le turnover des médecins urgentistes…
Oui, il dit qu’autrefois, quand on était médecin urgentiste, c’était pour la vie. Aujourd’hui, cela dure à peine quelques années... Le Dr Wargon vit dans une inquiétude permanente pour réussir à trouver des médecins. À Delafontaine, il y a une grosse vingtaine de médecins, mais seuls deux sont d’origine française. Si on enlève les médecins étrangers, le service s’arrête. C’est aussi valable pour de nombreux services d’urgence en province.
Pourquoi les médecins français ont-ils de moins en moins envie de travailler à l’hôpital public ?
C’est en partie à cause de son état de délabrement. Dans une séquence du film, les internes parlent de l’imprimante qui est, pour moi, le symbole du manque d’attractivité de l’hôpital public. Elle est cassée, mais au lieu de la changer, on passe son temps à la bricoler et à mettre du scotch. On perd un temps fou, mais on n’arrive jamais à la faire fonctionner correctement.
L’hôpital est malade d’un manque énorme de moyens. On passe son temps à bricoler, à mettre des bouts de sparadrap, à l’image des mesures du Ségur. Mais on ne met jamais en œuvre de véritables solutions, on ne met pas assez de moyens pour régler le problème. Et le délabrement de l’hôpital s’aggrave d’année en année... La plupart des médecins n’ont pas envie de travailler dans ces conditions-là, si ce n’est des médecins étrangers.
Diriez-vous qu’il y a une volonté politique de casser l’hôpital public ?
Depuis l’instauration de la T2A [tarification à l'activité], on a assisté à une lente dégradation de l’hôpital public. Que Sarkozy ou Macron, qui sont des libéraux, organisent le démantèlement du service public, on peut l’imaginer. Mais pourquoi le gouvernement Hollande n’a-t-il pas mis plus de moyens pour sauver le service public de santé ? On peut se demander s’il n’y a pas une volonté publique de le détruire.
On peut aussi se demander s’il ne s’agit pas d’une pénurie organisée. On crée un système de pénurie, en termes de lits et de personnel, et après on dit : « Vous voyez, le système ne fonctionne pas. » Quant au Ségur, il s’est contenté de donner 183 euros aux infirmiers, sans valoriser les heures de nuit. Après, on s’étonne que les gens partent…
Les soignants de l’hôpital public ont un fort sentiment de déclassement. C’est aussi valable pour les médecins qui ne sont pas bien reconnus financièrement, soumis à des horaires difficiles, mangent mal à l'hôpital, etc. Leurs conditions de travail sont difficiles et rien n’est fait pour leur donner envie de rester. Leur engagement a ses limites. C’est aussi pourquoi on assiste à un burn-out généralisé à l’hôpital. Les professionnels donnent tout pour leur travail et ont, malgré tout, l’impression d’être en échec.
Une scène du film vous a-t-elle particulièrement marqué ?
Je voyais tous les jours un médecin passer plusieurs heures au téléphone pour trouver des lits d’aval. Ils passent parfois 4 à 5 beures au téléphone pour trouver une place et, pendant ce temps-là, ils ne font pas de médecine. Je trouve cela complètement absurde en termes d’efficacité. On marche sur la tête. Et après, on se demande pourquoi on attend quatre heures à l’hôpital... Les urgences doivent gérer les problèmes de l’ensemble de l’hôpital : les patients qui ne sont pas reçus ailleurs et ceux qui ont besoin de places qui n’existent pas. Les soignants se retrouvent dans une situation impossible.
Que pensez-vous des propositions de la mission Braun ?
Certaines recommandations m’ont choqué. On fait en sorte que des étudiants puissent exercer plus tôt, que les retraités puissent revenir travailler, au lieu de prendre soin de ceux qui travaillent à l’hôpital. L’urgence devrait être de donner envie à ceux qui y sont déjà de rester à l'hôpital et d’arrêter de partir, et non de continuer à les maltraiter ! Là encore, il s’agit de propositions "sparadrap". Le message adressé à ceux qui donnent tout pour faire tourner l’hôpital public est catastrophique. C’est un peu comme si on leur disait : « Nous n’avons pas l’intention de prendre soin de vous. » Ce genre de solution fait sans doute partie d’une stratégie de faillite.
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