Bithérapie d’emblée, entretiens pharmaceutiques, chronothérapie… Alors que l’étude Flahs 2019 confirme la dégradation de la prise en charge de l’HTA en France, les 39es Journées de l’HTA (Paris, du 19 au 20 décembre 2019) ont permis d’évoquer plusieurs leviers d’amélioration… qui ne font pas toujours l’unanimité.
La bithérapie d’emblée discutée
Afin d’améliorer l’efficacité et l’observance des traitements, les dernières recommandations européennes sur l’HTA préconisent d’initier le traitement d’emblée par une bithérapie, sauf pour les plus de 80 ans, les sujets fragiles ou en cas d’HTA grade 1 (140-159/90-99 mmHg). En France, cette stratégie reste discutée, comme en témoignent les échanges qui ont eu lieu sur cette question lors des 39es Journées de l’HTA (Paris, du 19 au 20 décembre 2019).
Les tenants de la bithérapie d’emblée misent sur une efficacité supérieure dans un rationnel pharmacologique de synergie, un attendu de persistance d’effet tout au long de la journée et le pari d’un meilleur pronostic cardiovasculaire (CV). Une étude italienne sur un registre lombard montre une diminution de 15 % des pathologies CV à un an grâce à l’association fixe. Et globalement, « aucune monothérapie ne fera aussi bien que la bithérapie », estime le Pr Jean-Jacques Mourad (Hôpital Saint-Joseph, Paris), qui voit par ailleurs dans cette stratégie une façon de contourner l’inertie thérapeutique. Alors que la France reste la championne de la monothérapie (voir encadré sur l’enquête Flahs, p. 15), le contrôle tensionnel stagne voire régresse dans notre pays, ce qui suggère qu’une fois instaurée, la monothérapie n’est pas toujours réévaluée ni renforcée en cas de besoin. D’où l’intérêt d’attaquer fort d’emblée. Le spécialiste estime par ailleurs que l’argument du faible risque qui justifierait une attitude moins pro-active ne tient pas. L’essai Hope 3 montre qu’on obtient des résultats intéressants même dans une population à faible risque.
Le Pr Jean-Pierre Fauvel (Hôpital Edouard-Herriot, Lyon) s’affiche plus circonspect, soulignant que l’HTA est rarement une urgence. « 70 % des patients ont un très faible risque et on a 6 mois pour adapter le traitement », rappelle le président de la SFHTA. Et si sept études cliniques montrent certes que la bithérapie fait mieux que la monothérapie en termes de chiffres tensionnels, un seul essai de morbimortalité plaide en faveur de l’association. « C’est un peu court pour en tirer des conclusions générales », estime le Pr Fauvel. Selon lui, il faut certes combattre l’inertie thérapeutique mais la bithérapie systématique n’est peut-être pas une si bonne solution. « Si on diminue trop la PA, le patient est fatigué et il l’arrête ». Or, l’observance est bien « sur quoi il faut se battre à l’heure actuelle », appuie le spécialiste.
Traitement du soir, espoir ?
Pour la majorité des hypertendus, le traitement anti-hypertenseur se prend le matin. Pourtant, la PA nocturne est plus prédictive des accidents CV à cinq ans que la pression diurne. Pour s’en convaincre, les « dippers », autrement dit les hypertendus qui diminuent leur PA la nuit, font moins d’évènements CV que les « non dippers », qui gardent une PA élevée la nuit. On pourrait donc imaginer qu’il est bénéfique d’administrer le traitement le soir pour agir plus efficacement sur la pression nocturne.
Pour les hypertensiologues réunis en congrès, ce n’est pas si évident car les études ne vont pas toutes dans le même sens. Une étude de Poulter faite en 2018 ne montre aucune différence entre la prise de médicaments le matin et le soir. Une revue Cochrane explorant 47 études plaide pour la prise du traitement le soir, avec 35 études favorables. Une seule de ces 47 études conclut à la supériorité de la prise matinale et 11 ne relèvent aucune différence entre le traitement matin ou soir. Un autre travail suggère que c’est la demi-vie du médicament qui oriente l’horaire de la prise médicamenteuse. Les anti-hypertenseurs à demi-vie courte comme certains IEC (captopril, énalapril) sont plus intéressants à donner le soir. Pour ceux à la demi-vie longue comme l’amlodipine, la prise le matin ou le soir n’a pas d’importance.
Plus récemment, l’étude espagnole Hygia Chronotherapy Trial, conduite en médecine générale sur 19 000 patients, a montré que l’impact du traitement est meilleur sur les critères tensionnels de MAPA et surtout, sur les évènements CV lorsque le médicament est pris le soir. Avec notamment moins d’AVC, moins d’évènements coronariens, moins d’insuffisance cardiaque, moins d’évènements CV mineurs. Mais pour le Pr Fauvel, l’étude est « discutable et il faudrait la reproduire pour voir si on obtient les mêmes résultats ». Pour le président de la SFHTA, il est troublant que les patients du groupe « nuit » aient tous pris leur traitement le soir. Car on sait que les diurétiques sont à éviter avant de dormir puisqu’ils augmentent la diurèse et obligent à se lever la nuit. Prudent dans l’interprétation de ces résultats, le Pr Fauvel souligne par contre que la PA nocturne est très prédictive du risque CV, ce qui doit inciter à faire plus systématiquement une MAPA.
Une meilleure observance grâce aux entretiens pharmaceutiques ?
Même s’ils peinent à convaincre, les entretiens pharmaceutiques pourraient améliorer l’observance dans l’HTA. C’est en tout cas ce que suggère l’étude canadienne Rx EACH qui montre que l’entretien avec un pharmacien permet de diminuer de 21 % le risque CV. Même si ce résultat peut être discuté puisque la baisse de PAS constatée (- 9 mmHg) n’est pas suffisante pour expliquer une telle différence, il souligne l’importante de la multidisciplinarité face au problème de l’HTA. La SFHTA a d’ailleurs édicté des recommandations en 2016 pour délimiter les contours de cette coopération.
En pratique, le médecin traitant doit garder le rôle pivot pour délivrer un message cohérent et homogène, comme l’a souligné le Dr Athanase Bénétos (Nancy). Mais l’intervention en face-à-face du pharmacien permet d’interroger le patient sur la façon dont il prend ses médicaments, ce qu’il a compris de la consultation médicale ou d’inventorier l’observance. Selon une étude réalisée par le Dr Marilucy Lopez-Sublet (Bobigny) auprès de 187 pharmaciens, presque les deux tiers (62 %) réalisent des entretiens pharmaceutiques pour l’HTA mais de façon plutôt épisodique (pas plus d’un par mois pour 60 % d’entre eux).
Une prise en charge qui se dégrade en France
Enquête Flahs 2019 En France, « les hypertendus sont moins bien traités et moins bien contrôlés qu’il y a dix ans ». Lors du congrès, le Pr Xavier Girerd, cardiologue et président de la Fondation de recherche sur l'HTA, a alerté sur la dégradation de la prise en charge de l'HTA en France, résultats de l’enquête Flahs 2019 à l’appui.
Selon ce sondage mené en juillet 2019 auprès d’un échantillon de 10 000 Français de plus de 35 ans, le nombre d’hypertendus traités par au moins un médicament anti-hypertenseur est actuellement de 10,2 millions en France, soit 27,6 % des plus de 35 ans. Par rapport à 2009, cette prévalence des hypertendus traités « a baissé de 3 points », souligne le Pr Girerd. En miroir, le nombre d’hypertendus non dépistés ou non traités a progressé pour atteindre 5 millions (soit 19 % des plus de 35 ans), contre 4,2 millions en 2009.
Lorsqu’ils sont traités, les hypertendus ne sont pas pour autant toujours bien contrôlés, puisque plus d’un tiers (36 %) garde une PA > 140/90 contre 33 % en 2009.
Enfin, alors que selon la SFHTA, « la plupart des HTA nécessitent sur le long terme une plurithérapie », l’étude Flahs 2019 pointe une forte progression de la proportion de patients traités par monothérapie, passée de 44 % en 2009 à 55 % dix ans plus tard.