Thèse

Familiarités, déqualification, exhibitionnisme… une thèse décrit le sexisme des patients envers les femmes généralistes

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Publié le 23/12/2021

Les violences sexistes et sexuelles qui touchent les médecins ne sont pas que l'œuvre de confrères mais aussi des patients. Une thèse de médecine générale décrit le vécu des femmes généralistes face à ces comportements fréquents mais davantage banalisés et excusés que lorsqu'ils proviennent d'autres auteurs.

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

De plus en plus d’études et enquêtes font état des violences sexistes et sexuelles subies par les généralistes et futures généralistes au cours de leurs études et de leur carrière. Mais il existe encore peu de données sur le sexisme de la part des patients.

C’est donc sur ce sujet qu’a voulu se pencher Soubatra Tirougnanam pour sa thèse de fin d’études. Son travail soutenu mi-décembre avait pour thème le « vécu des femmes médecins généralistes face au sexisme du patient ». Et c’est son expérience personnelle qui l’a amenée à vouloir travailler dessus.

« Au cours de mes études, j’ai vécu une accumulation d’évènements sexistes mais à l’époque, je ne les identifiais pas forcément en tant que tel, explique-t-elle. Il s’agissait surtout de remarques sur mon apparence physique, cela me dérangeait et, comme système de défense, c’est moi qui adaptais mon comportement, en m’habillant différemment par exemple. » En parlant du problème autour d’elle, elle s’aperçoit qu’il n’y a pas qu’elle qui soit stressée à l’idée de rencontrer certains patients, et la plupart de ses collègues lui racontent qu’elles doivent aussi faire face au sexisme de quelques-uns.

Des praticiennes ramenées à leur genre

Pour sa thèse, le Dr Tirougnanam s’est donc appuyée sur des entretiens semi-dirigés réalisés avec des femmes médecins généralistes entre 28 et 66 ans, installées en libéral ou salariées ou remplaçantes. Et, sans surprise, à l’image de l’ensemble de la société – en 2019, 99 % des femmes disaient avoir été victimes d’un acte ou commentaire sexiste* –, l’ensemble des généralistes interrogées en ont subi de la part de leurs patients. Pour certaines, c'est même fréquent. 

Remarques, comportements ou agressions sexistes, toutes les généralistes interrogées ont au moins décrit une situation dans laquelle elles ont été confrontées à du sexisme en consultation, même si, d’emblée, elles ne le reconnaissaient pas forcément comme tel. D’après la thèse du Dr Tirougnanam, ce sexisme prenait différentes formes. Les généralistes interrogées décrivaient notamment des situations dans lesquelles elles étaient ramenées à leur statut de femme tandis que celui de médecin était ignoré.

Cela pouvait s’incarner dans la manière dont les patients les appelaient : par leur prénom, avec des petits noms, sans utiliser le titre de docteur, etc. Certains patients peuvent aussi avoir des attentes associées au genre du médecin. « On attend de moi, comme je suis une femme (…) à ce que j’adore la pédiatrie, que je sois hyper à l’aise avec les enfants (…), alors que, par exemple, si je dis qu’en uro je n’y connais rien, on ne va pas me remettre en question », souligne une généraliste.

Les remarques sur le physique, les questions sur la vie privée ou même les avances font aussi partie des comportements décrits.

La thèse du Dr Tirougnanam montre également que les femmes généralistes subissent parfois une déqualification de leur fonction liée à leur genre.

« Des patients me disaient à la fin de la consultation : ''Ah bon, c’est quand que je vais voir le médecin ?'', ''Mais c’était moi le médecin !'', ''Ah bon ? Vous n’êtes pas la secrétaire ?'' », raconte une généraliste.

« Avant, vraiment, une fois par semaine, on me demandait si j’avais eu mon diplôme, si j’étais un vrai médecin (…) », explique une autre.

Des patients refusent aussi de discuter de certains sujets ou simplement de consulter une femme médecin.

Une difficulté à réagir

Les comportements à connotation sexuelle font aussi partie des situations relatées. Sous-entendus, regards pesants, exhibitionnisme, bruitages obscènes, les expériences vécues peuvent parfois aller jusqu’au harcèlement et à l’agression sexuelle.

« J’ai eu une situation où un patient m’a embrassée de force dans le cabinet : je lui tends la main pour lui dire au revoir et là, il s’est approché comme s’il voulait me faire la bise et m’a embrassée sur la bouche », raconte une généraliste.

Ces comportements sexistes ne sont pas sans conséquence. Les praticiennes peuvent se remettre en question, se sentir dévalorisées et sont impactées plus ou moins durablement par ces attitudes.

« Il m’a empêchée de faire mon travail, m’a empêchée d’être docteur, m’a imposé d’être une femme au service de son désir sexuel (…) ; (…) Nous, les médecins, on est très ouvertes, très à l’écoute, très prêtes à écouter ce que veulent les gens et lui, tout à coup, ne me voit pas comme un médecin mais comme une femme, une jeune femme », relate l’une d’elles au sujet d’une agression.

Pas forcément préparées face à ces situations, les généralistes interrogées n’ont pas toujours su comment réagir. Seules quatre d'entre elles étaient satisfaites de leur réaction. Les autres auraient souhaité adopter un autre comportement.

« Je me sentais impuissante et j’ai eu l’impression de ne pas avoir réagi comme j’aurais dû. Sur le coup, j’aurais dû lui dire : « Monsieur, rhabillez-vous, partez, vous avez un comportement inadapté », et sur le coup, j’ai mené la consultation (…). »

Mais la plupart du temps, pour se prémunir de ces façons de faire sexistes, ce sont les généralistes qui vont adapter leur attitude« Elles vont passer la main à un collègue ou éliminer des marques de féminité pour éviter de donner une accroche au patient », explique le Dr Tirougnanam.

Dans certains cas, elles regrettent aussi le manque de réaction ou de soutien de leurs collègues. « C'est tellement banalisé que personne ne s’en est soucié vraiment, jusqu’à ce que je leur dise : ''ce n’est pas normal, je l’ai mal vécu''. »

Des comportements excusés 

Car ce qui ressort aussi de la thèse, c’est que bien plus que le sexisme de la part de confrères, celui des patients est excusé ou justifié, y compris par celles qui le subissent. L’histoire du patient, son mal-être, ses antécédents médicaux, son caractère ou la particularité de la relation médecin-patient sont notamment mis en avant pour expliquer ces comportements. « Certaines expliquent également qu’il est difficile de recadrer un patient suivi depuis longtemps », ajoute le Dr Tirougnanam.

« Ce qu’on nous répète, y compris lors des groupes d’échanges de pratiques, c’est d’être dans l’empathie par rapport au patient, et donc on ne sait pas forcément quoi faire quand cela va trop loin, on se laisse faire », analyse-t-elle. 

Pour remédier à ces situations, parmi les pistes évoquées par les généralistes interrogées, l’information et la formation sont mises en avant. Être mieux informée de l’existence de ces comportements pour y être mieux préparée, et mieux formée pour savoir mettre des limites et refuser les demandes abusives ou recadrer dans les bons termes.

* d'après le rapport annuel du Haut conseil de l'Egalité (HCE)


Source : lequotidiendumedecin.fr