Les TCA touchent jusqu’à un quart des internes de médecine générale

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Publié le 14/02/2024
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Selon les régions françaises, 20 % en moyenne des internes en médecine générale souffrent de troubles du comportement alimentaire (TCA). Cette tendance, qui est retrouvée dans de nombreux pays, débute dès les premières années d’études. La féminisation, le stress et certains traits de caractère (le perfectionnisme, par exemple) semblent jouer un rôle essentiel.

Le passage dans des stages à gardes semble accompagner les TCA chez les internes.

Le passage dans des stages à gardes semble accompagner les TCA chez les internes.
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Intern’life, étude quantitative, exploratoire, de cohorte longitudinale chez les internes de médecine générale (ECN 2013), est une mine d’observations sur le ressenti de la fin d’étude de jeunes médecins qui ont été les premiers à moins s’installer en libéral et parfois même à abandonner la médecine générale. L’analyse des données de ce travail permet de mieux comprendre ce phénomène générationnel qui persiste – voire s’amplifie – actuellement.

Une augmentation de l’IMC moyen en cours de spécialisation

Parmi les raisons et les conséquences du mal-être de ces médecins, les troubles du comportement alimentaire (TCA) ont été analysés en 2018 par Victorien Carret à l’occasion de son travail de thèse sur la cohorte Intern’life Aquitaine. 204 internes ont été sollicités, 139 ont répondu à des questionnaires incluant une évaluation de leurs poids et de leurs éventuels TCA. Une augmentation de l’IMC moyen a été observée en cours de début de spécialisation (23,03 à 18 mois contre 22,07 initialement) qui semble être en relation avec le passage dans des stages à gardes et la désorganisation alimentaire liée aux horaires décalés. L’état anxieux a nettement augmenté avec l’avancée dans le cursus passant de 39,6 % au premier trimestre à 51,8 % au sixième semestre (l’étude a eu lieu avant la réforme de la 4e année de DES pour la médecine générale). L’incidence de la dépression est pour sa part restée stable tout au long de l’internat avec des chiffres de 7,79 % à̀ 10,71 %.

Évalués par le questionnaire SCOFF, les TCA ont concerné à tout moment entre 14,3 et 15,3 % des internes (contre 25 % en Île-de-France). Le fait d’être en couple, de vivre en milieu moins urbanisé, de passer plus de temps à exercer auprès du patient et de prendre le temps de manger sont autant de facteurs qui seraient protecteurs. Si ces chiffres peuvent sembler particulièrement importants, il convient aussi de prendre en compte la sur-représentation des TCA dès la première année d’études médicales. Ainsi, à Bordeaux en 2004 (il n’existe pas d’études plus récentes), 30,1 % des jeunes étudiants étaient concernés par ses troubles. Parmi les facteurs de risque les auteurs retenaient l’insatisfaction vis-à-vis de son corps, un IMC élevé mais aussi une faible adaptation à l’université, un stress perçu sur les dysfonctionnements de l’université et un moindre tissu social.

L’enseignement de la médecine attire des personnalités qui possèdent des traits psychologiques communs avec les personnes atteintes de TCA

Plus récemment, une étude menée en Tunisie a relevé une prévalence des TCA de 16,4 %. Au Maroc en 2021, 25,09 % des étudiants en médecine étaient concernés. Une revue mondiale et une méta-analyse menée en 2019, retenaient un chiffre de prévalence de 10,4 %, mais une mise à jour de ce travail en 2022 a porté l'estimation à 17,35 %.

Comment expliquer ces chiffres qui dépassent les statistiques en population tout-venant ? On peut lire dans les travaux cités que les TCA ne sont pas liés à une cause unique, qu’ils résultent d’une interaction complexe de facteurs génétiques, biologiques, comportementaux, psychologiques et sociaux. Mais les auteurs soulignent aussi que l’enseignement de la médecine attire des personnalités qui possèdent des traits psychologiques communs avec les personnes atteintes de TCA : perfectionnisme, sens de la performance, motivation, tenue d’objectifs, auto-critique, capacité de travail sur des horaires prolongés… La féminisation de la profession dans les pays les plus développés apparaît aussi comme un facteur favorisant puisque les TCA concernent dans huit cas sur dix des femmes. Par ailleurs les auteurs soulignent que les étudiants en médecine apprennent à considérer le poids comme un indicateur de santé et qu’il existe une stigmatisation liée au poids entre soignants et de plus en plus entre soignants et patients.

Galam E, Vauloup Soupault C, Bunge L et coll. ‘Intern life’: a longitudinal study of burnout, empathy, and coping strategies used by French GPs in training. BJGP Open. 2017 Jul 10; 1(2): bjgpopen17X100773. doi: 10.3399/bjgpopen17X100773

Carret V. Environnement professionnel et troubles du comportement alimentaire au cours de l'internat de Médecine Générale en Aquitaine. Thèse 2018

Safia E, Htira Y, Ben Mami F.Troubles des conduites alimentaires : prévalence et facteurs de risque chez des étudiants en médecine tunisiens. Nutrition Clinique et Métabolisme, doi.org/10.1016/j.nupar.2022.08.002

Attouche N, Haldi S, Somali R et coll. Facteurs associés au risque de troubles du comportement alimentaire chez les étudiants en médecine de Casablanca, Maroc. Pan African Medical Journal 2021;39(270).

Jahrami H, Sater M, Abdulla A et coll. Eating disorders risk among medical students: a global systematic review and meta-analysis. Eat Weight Disord. 2019 Jun;24(3):397-410. doi: 10.1007/s40519-018-0516-z.

Feikih-Romdhane F, Daher-Nashif S, Ahuwallah A et coll. The prevalence of feeding and eating disorders symptomology in medical students: an updated systematic review, meta-analysis, and meta-regression. Eat Weight Disord. 2022;27(6):1991–2010


Source : Le Quotidien du Médecin