La France est l'un des pays européens dans lequel la chirurgie bariatrique est la plus fréquente. Dans la feuille de route de l'obésité 2019-2022 présentée début octobre, la ministre de la Santé entend encadrer et sécuriser le recours à cette option thérapeutique.
Sleeve, by-pass gastrique, tous deux sont désormais loin devant l'anneau ajustable. En 10 ans, le recours à la chirurgie bariatrique a été multiplié par 3 en France. Une augmentation qui soulève les interrogations des institutions réglementaires. Lors du lancement de la feuille de route de l'obésité le 8 octobre, la ministre de la Santé Agnès Buzyn s'est ainsi prononcée pour un « recours raisonnable et raisonné » à la chirurgie bariatrique « qu'il convient de réguler plus efficacement ». L'activité, a-t-elle annoncé, fera l'objet « d'une autorisation spécifique aux établissements de santé autour de critères de qualité » et avec « des seuils d'activité ».
Le constat n'est pas neuf. En 2016, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) avançait déjà « qu'une part sans doute non négligeable des indications est excessive ou mal posée ». Soulignant que l'efficacité de l'acte a pour corollaire « des effets potentiellement graves » (complications chirurgicales, conséquences psychiques, carences nutritionnelles, etc.), le rapport de l'Inspection considérait « qu'il n'est pas acceptable que la chirurgie bariatrique soit aussi peu encadrée et suivie ».
Des pratiques déstructurées
« Il y a trop d'interventions en France, estime le Dr Vanessa Folope, endocrinologue du Centre spécialisé de l'obésité (CSO) de Rouen. Dans l'étude ObéPi, l'Assurance-maladie rapporte un nombre important d'interventions dans la région PACA, où il n'y a pourtant pas la prévalence la plus élevée de l'obésité ».
Cette analyse ne fait l'unanimité. « Est-ce un mal de proposer un traitement efficace ? argumente le Pr François Pattou, chirurgien viscéral responsable du Centre spécialisé de l'obésité (CSO) de Lille. La chirurgie bariatrique diminue la mortalité de 40 % et il n'y a pas d'alternative aussi performante sur la perte de poids. Si le Royaume-Uni en fait 3 à 4 fois moins que nous, c'soit parce que le système de soins proposé est moins protecteur. A contrario, la Suède en fait davantage que nous ».
Concernant les indications, le Pr Pattou fait remarquer que « les critères d'éligibilité à la chirurgie sont les mêmes dans le monde entier : un indice de masse corporelle (IMC) ≥ 40 kg/m2 ou ≥ 35 kg/m2 avec des comorbidités invalidantes. À l'avenir, il est même possible que d'autres indications voient le jour, comme le suggèrent des études dans le diabète ».
Indispensable parcours avant et après la chirurgie
Pour autant, les spécialistes des CSO sont loin d'être réfractaires à une régulation du parcours de soins avant et après la chirurgie. « La chirurgie ne résout pas tous les problèmes d'une maladie chronique. L'éducation thérapeutique est un point essentiel pour modifier le mode de vie, en particulier les comportements alimentaires », explique le Pr Czernichow, auteur d'un livre d'information grand public sur la chirurgie bariatrique*.
Et si l'accompagnement recommandé est pluridisciplinaire - au minimum de 6 mois voire 12 à 18 mois - et le suivi postopératoire, à vie, « tout le monde ne travaille pas ainsi, concède le Pr Pattou. Certains opèrent très rapidement, parfois 4 semaines après la 1re consultation, sans préparer le patient. Il faut opérer les bonnes personnes dans les bons établissements ». Le Pr Czernichow renchérit sur l'enjeu du suivi : « il y a plus de 50 % de perdus de vue à 5 ans », souligne-t-il. Dans son manuel, le nutritionniste explique comment certains patients ont des attentes irréalistes et pourquoi tous ne sont pas de bons candidats à la chirurgie.
Remboursement exclusif de la chirurgie
Comment expliquer une telle carence aujourd'hui dans l'organisation du parcours de soins ? « L'Assurance-maladie rembourse de façon assez libérale la chirurgie mais pas le reste, notamment le diététicien ou le psychologue, explique le Pr Pattou. Même les suppléments vitaminiques ne sont pas remboursés, ce qui représente un coût de 250 euros par an à la charge des patients. Il faut réfléchir à une autre façon de financer la chirurgie bariatrique ».
Un forfait qui conditionnerait le remboursement de la chirurgie à la prise en charge pluridisciplinaire est ainsi en expérimentation. De plus, « un bon volume d'activité permet plus facilement de mettre en place une prise en charge pluridisciplinaire, poursuit le chirurgien. La question des seuils d'activité, comme celui évoqué de 50 interventions par an, est légitime ».
« La chirurgie ne va pas régler à elle seule l'épidémie d'obésité. Et l'éducation thérapeutique, si elle est de forte intensité, permet une perte de poids réaliste et suffisante pour diminuer le risque cardiométabolique. On a besoin d'une prise en charge à la hauteur de cette maladie chronique ». La feuille de route n'avance aucun chiffre pour le budget alloué à cette future réorganisation de la chirurgie bariatrique. « Quels moyens l'État est-il vraiment prêt à mettre ? s'interroge le Pr Pattou. Si on veut traiter l'obésité sévère, cela va coûter de l'argent. »
* Obésité, quand et comment avoir recours à chirurgie bariatrique ? Marabout, 2018