Si les Américains s’intéressent depuis longtemps aux spécificités de l’HTA du sujet noir, la France s’était jusque là peu penchée sur cette question. Le dernier congrès de la Société française d’hypertension artérielle (SFHTA) a permis un premier pas, avec la présentation d’une “fiche technique” entièrement dédiée à cette thématique.
Spécificités génétiques, différences d’accès au soin ou encore exposition plus marquée à certains facteurs de risque… Plusieurs éléments concourent à faire de l’HTA du sujet noir une HTA “à part”. Avec à la clé des conséquences épidémiologiques, pronostiques mais aussi thérapeutiques, comme le souligne la “fiche technique” récemment publiée sur cette question par la SFHTA. Présenté par le Dr Olivier Steichen (Paris) lors des dernières Journées françaises d’hypertension artérielle (JFHTA, Paris, 14-15 décembre 2017) ce document plaide pour une prise en charge plus individualisée de l’HTA du sujet noir.
Plus fréquente et plus précoce
Sur le plan épidémiologique, les données disponibles montrent que dans les pays occidentaux, l’HTA du sujet noir est globalement « plus fréquente, plus précoce, moins bien contrôlée et plus souvent compliquée », résume le Dr Steichen. Avec, en sus, « une association assez uniforme au surpoids et au diabète, notamment chez les femmes ».
Autre spécificité : des données en provenance d’Amérique du Nord pointent une prévalence plus importante de l’HTA masquée et nocturne, d’où « une mesure clinique très peu représentative » et une tendance à la sous-estimation de la PA.
Plus d’HTA secondaire ?
D’un point de vue physiopathologique, « on a souvent dit qu’il y avait davantage d’HTA secondaires, avec notamment plus d’aldostéronisme primaire chez le sujet noir, rapporte le Dr Steichen, mais ce constat repose sur un gros biais puisque la recherche étiologique dans cette population est souvent limitée aux phénotypes les plus atypiques ».
Aux États-Unis, différentes séries retrouvent une prévalence plus importante des apnées du sommeil, avec semble-t-il une association plus forte à l’HTA. A contrario, les scléroses athéromateuses des artères rénales semblent un peu moins fréquentes.
Des travaux récents ont aussi mis en évidence l’existence de variants génétiques du gène APOL1 associés, dans certaines études, à l’élévation de la PA chez les sujets noirs.
Fréquents chez les patients originaires d’Afrique de l’Ouest – à qui ils confèrent une résistance accrue à la trypanosomiase (ou maladie du sommeil) –, ces variants sont aussi associés à une augmentation importante de l’incidence des glomérulopathies secondaires, y compris hypertensives. D’où une vulnérabilité rénale à l’HTA plus importante dans ces populations.
Un impact plus marqué…
De fait, chez les sujets porteurs de deux allèles mutés d’APOL1, les néphroangioscléroses et les hyalinoses associées à l’HTA sont plus fréquentes et plus rapidement évolutives. Ainsi, « le retentissement rénal plus marqué de l’hypertension chez les sujets noirs serait lié non seulement à la précocité et la sévérité de leur HTA, mais également à ces variants du gène APOL1 », stipule la fiche de la SFHTA.
Le pronostic cardiovasculaire est aussi plus péjoratif avec, dans les pays occidentaux, un excès de morbimortalité pour la mort subite et les AVC. « La majorité de cet excès de risque est attribuable [...] à une corpulence plus importante et une hypertension plus ancienne et moins bien contrôlée, analyse la SFHTA. Néanmoins, l’hypertrophie ventriculaire gauche reste plus fréquente chez les hypertendus noirs, y compris après ajustement sur ces facteurs. De même, le surcroît de risque d’AVC occasionné par une élévation donnée de la pression artérielle systolique est deux fois plus important chez les Américains noirs de moins de 65 ans que chez les blancs. »
... mais pas d’objectifs tensionnels plus stricts
Dans ce contexte, faut-il fixer des objectifs tensionnels plus stricts pour les populations noires ? Au niveau international, seule l’International Society on Hypertension in Blacks a franchi le pas, préconisant une pression artérielle < 135/85 voire 130/80 mmHg, selon le niveau de risque cardiovasculaire.
Pour les autres sociétés savantes, dont la SFHTA, « la proportion d’hypertendus noirs traités et contrôlés étant très faible en Afrique subsaharienne et encore très insuffisante dans les pays à hauts revenus, la priorité est d’amener un maximum d’entre eux aux objectifs thérapeutiques habituels (soit 140/90) avant d’envisager des objectifs plus stricts, dont les bénéfices sont incertains ». Cependant, « dans les populations souffrant d’une maladie rénale chronique associée à deux variants délétères d’APOL1, le bon contrôle de la PA est particulièrement important pour éviter la dégradation rénale, mais également au titre de la prévention cardiovasculaire », nuance le Dr Steichen. Selon une analyse rétrospective de l’étude AASK (Ku E, Kidney Int. 2017), chez ces patients, un contrôle strict de la PA (pression artérielle moyenne [MAP] ≤ 92 mmHg) permettrait de diminuer le risque de décès de 42 % par rapport à un contrôle standard (MAP ≤ 102/107 mmHg).
Autre cas particulier : « Chez les patients drépanocytaires homozygotes SS, des pressions artérielles considérées normales hautes dans la population générale sont associées à une incidence accrue des complications (néphropathie, AVC, mortalité), souligne la SFHTA. Une pression artérielle > 120/70 mmHg doit donc faire envisager un traitement anti-hypertenseur dans cette population. »
Les inhibiteurs du SRAA moins efficaces en monothérapie
Sur le plan thérapeutique, les mesures hygénio-diététiques sont particulièrement importantes compte tenu de la forte association HTA/obésité/diabète.
D’un point de vue pharmacologique, « on sait que les inhibiteurs du système rénine angiotensine sont moins bien tolérés chez le sujet noir avec plus de toux et d’angiœdèmes », indique le Dr Steichen.
Par ailleurs, tous les médicaments qui inhibent le système rénine angiotensine aldostérone (SRAA) – IEC, sartans, bêta-bloquant – sont moins performants sur la PA que ceux qui activent ce système (inhibiteurs calciques et thiazidiques), avec toutefois une variabilité inter-individuelle importante. Cette moindre efficacité est également démontrée pour la prévention cardiovasculaire, ce qui doit inciter dans ce contexte à « ne pas prescrire de monothérapies par IEC, sartans ou bêta-bloquants » chez ces patients.
En plurithérapie, ces médicaments gardent en revanche toute leur place chez l’hypertendu noir, car leur effet anti-hypertenseur est fortement majoré (effet synergique) par l’adjonction d’un traitement qui stimule le SRAA. Selon une étude (Johnson JA, Clin. Pharmacol. Ther. 2009) comparant bêta-bloquants et diurétiques en population noire et blanche, si la diminution de la PA sous aténolol est bien plus importante chez les hypertendus blancs que chez les hypertendus noirs, la différence s’annule dès que l’on associe l’hydrochlorothiazide.
Par ailleurs, chez le sujet noir hypertendu, les bloqueurs du SRAA « restent incontournables dans leurs indications préférentielles classiques (post-infarctus, IC, IR avec protéinurie) ».
Enquête Flash, moins d’hypertendus traités
Les derniers chiffres de l’enquête Flash présentés par le Pr Xavier Girerd (Paris) le confirment : la prise en charge de l’HTA marque le pas en France. Avec, en 2017, un recul significatif du taux d’hypertendus de plus de 35 ans traités, passé de 31,4 % en 2012 à 27,9 % en 2017. En fait, « l’hypertension artérielle est banalisée en France et considérée comme un simple facteur de risque », regrette le Dr Thierry Denolle, président de la SFHTA. Face à ce constat, la société savante tire la sonnette d’alarme et vient d’émettre 60 propositions officielles pour corriger le tir et « améliorer le contrôle tensionnel, en s’adaptant aux progrès techniques et aux demandes de la société ».