Six mois à peine après sa nomination, la présidente du Collège de la Haute Autorité de Santé opère une révolution en mettant le cap sur la médecine générale. Si l’hôpital et le médicament restent une préoccupation constante de cette institution, dans un entretien accordé au « Généraliste », elle affiche haut et fort sa volonté d’améliorer la sécurité et la qualité des soins de ville. Recos mieux adaptées à la pratique, critères de ROSP pertinents, informations sur le médicament ciblées sur le généraliste, indépendance des experts… Tous les outils de la HAS seront mis à la disposition de cette ambition.
Le Généraliste : Que représentait la HAS pour vous avant d’en prendre la présidence du Collège et quelles ont été vos motivations pour accepter ce poste ?
Pr Agnès Buzyn. Pour moi, la Haute Autorité de santé, c’est l’institution qui donne le « la », qui établit les règles de l’art de la pratique médicale sur la base de fondements scientifiques avec pour objectif ultime d’améliorer la qualité des soins dispensés aux patients. C’est une autorité à caractère scientifique et c’est la seule institution dans le champ de la santé à avoir cette caractéristique. Avec bonheur, je retrouve cette rigueur dans tous les services de la HAS. Je suis bien sûr un médecin mais aussi une scientifique.
.La HAS joue un rôle central dans la régulation du système de santé et la préservation de la solidarité. Pour avoir pas mal voyagé, je constate que notre système de santé, avec ses défauts, assure une qualité et un accès aux soins pour tous inégalés ailleurs. Mon expérience précédente à l’INCa m’a aussi permis de mesurer à quel point nos valeurs françaises sont respectées et admirées à l’international. C’est donc une très belle mission de servir le bien public et de participer à l’accès, la qualité et la sécurité des soins.
Ces dernières années, la HAS avait essentiellement axé ses travaux sur le versant hospitalier. Poursuivrez-vous sur cette lancée ?
Pr A.B. Nous avons toujours été présents dans le champ de l’hôpital et allons évidemment continuer d’approfondir cette thématique. Le challenge qui nous attend est de réconcilier la certification avec le monde médical. Et, pour cela, il va falloir médicaliser de plus en plus la certification et rendre cohérents tous les leviers de la qualité des soins (autorisations, indicateurs qualité, certification). La certification mobilise énormément les établissements hospitaliers. Nous devons gagner en cohérence, en simplification et en visibilité pour le corps médical. Il faut que cela lui parle. Aujourd’hui la certification, même si elle s’est médicalisée avec le patient traceur, est encore trop loin des préoccupations du corps médical.
Il faut également que nous ayons une vision plus claire de ce que doit être l’articulation ville-hôpital. Avec les groupements hospitaliers de territoire (GHT), on commence à toucher au parcours de soins des malades et on ne peut pas uniquement l’évaluer en intra-hospitalier. Un parcours de soins est plus large et on doit y intégrer la ville. C’est un virage compliqué mais il s’impose dès lors que la stratégie nationale de santé est centrée sur le patient. Il faut que nous ayons une visibilité globale sur le parcours des malades qui est souvent complexe : médical, médico-social, ville-hôpital… La HAS doit avant tout servir le patient et ses avis participer à structurer le monde médical autour de lui.
Quelle place comptez-vous réserver aux soins primaires, à la médecine générale ?
Pr A.B. C’est pour moi un axe stratégique et je souhaite le développer. Nous sommes en train de poser les jalons de notre futur projet stratégique puisque le projet actuel s’arrête en 2016. La médecine générale y jouera un rôle central. C’est un tournant pour la HAS. Même s’il y a déjà eu beaucoup de choses faites pour la médecine générale, la HAS ne l’a jamais affiché comme une priorité. C’est une direction que je veux affirmer dans le projet stratégique à venir.
Des moyens vont être mis en œuvre pour renforcer ce rôle de coordonnateur des médecins traitants. La HAS doit maintenant être visible sur le champ des soins primaires et notamment sur la qualité et la sécurité des pratiques, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent ou trop peu ou de manière trop ponctuelle. Il faut que les médecins de premiers recours se sentent accompagnés. Ils ont des besoins et je pense que la HAS doit être à l’écoute de ces besoins pour que les outils d’accompagnement proposés, leur parlent, leur soit utiles dans leur pratique quotidienne. Donc je pense qu’il y a un vrai travail d’échange à développer plus encore avec le monde de la médecine générale pour que la HAS ne soit pas hors-sol par rapport à ces besoins et soit présente de façon proactive et de manière adaptée.
Les généralistes vont devoir renforcer leur investissement dans le champ de la prévention et nous allons les y accompagner.
Comment comptez-vous vous y prendre ?
Pr A.B. Je pense évidemment d’abord aux recommandations. Le reproche majeur qui leur est fait, c’est qu’elles portent sur une pathologie. Or quand un patient rentre dans un cabinet il n’a pas juste une HTA ou un cancer, sa pathologie est toujours beaucoup plus complexe. Donc, cette réalité doit être prise en compte dans nos recommandations.
Autre élément qui me tient très à cœur, c’est qu’historiquement la HAS s’est positionnée sur des recommandations de prise en charge thérapeutique. Or de la même manière qu’on ne peut plus faire de rupture entre la ville et l’hôpital, on ne peut plus distinguer prévention, éducation à la santé, mesures d’accompagnement non médicamenteuses et prise en charge médicamenteuse. Les généralistes vont devoir renforcer leur investissement dans le champ de la prévention et nous allons les y accompagner. Non pas comme Santé Publique France le fait avec ses campagnes, mais en adaptant nos recommandations.
L’aspect prévention doit y être aussi présent et articulé que la prise en charge médicamenteuse ou chirurgicale. Il ne s’agira pas juste de promouvoir l’activité physique, nous devrons préciser combien d’heures, sur quels arguments scientifiques… C’est un enjeu majeur pour préserver notre système solidaire de réduire la part de médicaments en améliorant la part de la prévention.
L’autre aspect que je souhaite développer en médecine générale, c’est l’amélioration de la qualité et de la sécurité des pratiques en ville. Cela concerne le versant organisationnel de leur activité. Nous allons aider les généralistes à s’engager dans la qualité des soins. On l’a fait pour l’hôpital, ce serait incohérent de ne pas le faire en ambulatoire, d’autant que ce champ occupera une place majeure dans les années qui viennent.
Le développement de l’exercice en groupe tel que pratiqué dans les maisons de santé va nous y aider parce que ce type d’organisation favorise le retour collectif d’expériences, les échanges sur les pratiques professionnelles et leur harmonisation. Ce modèle d’exercice va permettre de tester un certain nombre d’outils visant à améliorer la qualité et la sécurité des pratiques.
Allez-vous pour cela vous rapprocher du Collège de la Médecine générale ?
Pr A.B. Bien sûr, le Collège est d’ailleurs un acteur avec qui nous sommes déjà en étroite collaboration. Il est très investi sur ces sujets. Ce n’est pas l’unique acteur, il y a aussi les fédérations des maisons de santé par exemple. Mais le Collège continuera évidemment à être l’un de nos interlocuteurs privilégiés.
Votre stratégie repose beaucoup sur les recommandations. Mais beaucoup de médecins généralistes les regardent de manière critique.
Pr A.B. Les recommandations de la HAS sont d’extrêmement bonne qualité scientifique. Certains leur font le reproche de ne pas être pas assez pratico-pratiques, de ne pas être applicables sur le terrain. Dans le cabinet où un médecin n’a que 10 ou 15 minutes face à un malade, il n’aura pas le temps matériel de se plonger dans une reco de 60 pages.
Mais cela interroge plus le format - que nous devons adapter pour favoriser l’appropriation - que la qualité de nos recommandations sur le fond que personne ne remet en doute. Toutefois, dire qu’elles sont complètement hors sol alors qu’on associe de nombreux professionnels lors de leur production, c’est certainement que la recommandation dérange aussi une pratique professionnelle qui n’est peut-être pas optimale. Il faut l’assumer.
J’ajouterais aussi qu’il faut assumer le fait qu’une recommandation est générique et que c’est donc un outil qui constitue la référence de la prise en charge. Mais on ne doit ni ne peut appliquer telle quelle une recommandation à tout le monde, parce que le malade ou la population que le médecin a en charge a des spécificités médicales, sociales ou culturelles qui nécessitent parfois d’être prises en compte.
Le médicament occupera-t-il la même place à la HAS ?
Pr A.B. À partir du moment où la HAS participe à la définition du panier de soins remboursables, le champ du médicament est très important. Ce que nous faisons (évaluer les produits de santé en amont de leur remboursement par la Cnamts) est une des conditions de survie de notre système de soins solidaire. On doit donc y apporter une attention extrême. Par ailleurs, les avis d’efficience ont besoin d’être rendus plus lisibles, plus compréhensibles. Il y a donc aussi un enjeu de simplification. Le lien entre les avis médico-scientifiques et économiques doit être plus apparent.
Et puis, au-delà des médicaments, il faut aussi que la HAS s’investisse davantage sur l’efficience des stratégies de prise en charge. Récemment, nous en avons publié sur les dépistages, la chimiothérapie ambulatoire, la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique pour savoir par exemple s’il vaut mieux transplanter tôt ou dialyser longtemps. La question de la prise en charge la plus efficiente est une vraie question de médecine. Nous devons monter en charge sur ce champ-là.
Il y a enfin l’information en temps réel du médecin sur l’actualité des médicaments. L’exemple récent étant la tératogénicité du valproate de sodium à propos de laquelle certains médecins ont peut-être eu du mal à être correctement informés en temps réel. Nous allons adopter prochainement un référentiel très contraignant pour les éditeurs de logiciels d’aide à la prescription permettant d’envoyer des messages d’alerte. Ce sera un outil indispensable pour sécuriser les prescriptions.
J’aimerais que chaque recommandation à venir intègre, dès le départ, l’idée qu’on puisse isoler un indicateur de résultat.
La Convention médicale vient d’être signée. Comptez-vous intervenir dans les critères de la ROSP ?
Pr A.B. La ROSP est un outil très intéressant. C’est un des leviers qui permet de tendre vers l’harmonisation et l’amélioration des pratiques médicales. Il est important que la HAS se mette en capacité de proposer des indicateurs de ROSP à la Cnamts. Même si c’est la Cnamts, dans le cadre de la Convention qu’elle négocie avec les professionnels, qui doit les choisir. J’aimerais, par exemple, que chaque recommandation à venir intègre, dès le départ, l’idée qu’on puisse isoler un indicateur de résultat. La ROSP est probablement l’outil le plus efficace pour atteindre un certain nombre d’objectifs d’amélioration de la qualité des pratiques. Du point de vue de la HAS, c’est le seul objectif recevable.
Je souhaite que la HAS soit une institution vivante, adaptée au terrain, lisible, anticipatrice des innovations organisationnelles, sociétales ou de prise en charge.
Le mandat de votre prédécesseur - que vous devez d’abord achever - se terminant en janvier, quel est votre calendrier ?
Pr A.B. Je souhaite pouvoir me présenter pour un mandat plein. Si le président de la République me renouvelle sa confiance, j’aimerais me présenter devant les assemblées avec une ébauche de projet stratégique.
Cette étape coïncide avec un renouvellement au moins partiel du Collège de la HAS. Le deuxième temps fort sera l’adoption du projet stratégique avec le nouveau Collège. Je souhaite que la HAS soit une institution vivante, adaptée au terrain, lisible, anticipatrice des innovations organisationnelles, sociétales ou de prise en charge. Nous devons pouvoir peser sur les débats publics.
Je souhaite également nouer des partenariats avec des sociétés savantes, des équipes de recherche académiques, des universités à la condition que nos critères d’indépendance soient scrupuleusement respectés. La HAS ne peut pas tout traiter seule en interne. Cela permettra d’accroître notre réactivité.