Les données publiées à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac du 31 mai en témoignent : tous les Français ne sont pas égaux face au tabagisme. Et si le recul des consommations se maintient, tous les fumeurs n’en profitent pas de la même manière. Niveau socio-économique, genre, âge, comorbidités… plusieurs facteurs interviennent qui sont autant d’éléments à prendre en compte pour optimiser le sevrage.
Même si elles sont les grandes gagnantes du recul du tabagisme l’an passé (lire encadré ci-dessous), les femmes sont connues pour être plus difficiles à sevrer, avec davantage de tentatives d’arrêt se soldant par un échec par rapport aux hommes. Pour autant, rien n’indique qu’elles sont plus dépendantes au tabac. En fait, « cette plus grande difficulté à arrêter de fumer tient probablement a un affect négatif plus prégnant chez elles, note le Dr Ivan Berlin (CHU Pitié-Salpêtrière, Paris, et Centre universitaire de médecine générale et de santé publique, Lausanne). L’une des hypothèses est une plus grande incidence de la dépression majeure, de l’anxiété mais aussi de la précarité. « Il faut être conscient de cette difficulté et consacrer plus d’investissement et de vigilance lors du sevrage chez les femmes », poursuit le tabacologue.
Si, globalement, les substituts nicotiniques (SN) doublent les chances de sevrage, ils sont moins efficaces chez les femmes, probablement du fait d’un métabolisme accéléré de la nicotine. « Il faut donc être attentif à la titration des SN et éventuellement prescrire des doses plus élevées pour parvenir à un sevrage. » En revanche, l’efficacité de la varénicline est identique dans les deux sexes, voire légèrement supérieure chez les femmes. « Elle peut être un choix préférentiel en seconde intention voire parfois en première intention », ajoute le spécialiste.
Les jeunes moins réceptifs au sevrage
Autre spécificité dont il faut tenir compte : la probabilité d’arrêt croît avec l’âge. « L’adhérence des plus jeunes (< 45 ans) au processus de sevrage est moins élevée, poursuit le spécialiste, tout comme la motivation. La prise en charge doit être plus rapprochée chez les moins de 45 ans, avec un œil attentif sur l’observance du traitement. » Aucune différence d’efficacité des traitements médicamenteux n’a été mise en évidence en fonction de l’âge.
Une autre population qu’il est important de soutenir sont les personnes précaires, le taux de réussite par tentative d’arrêt étant inférieur dans cette population avec, là encore, une moindre adhérence au processus de sevrage.
La présence de comorbidités organiques ne semble pas être un frein majeur au sevrage, même si certains travaux suggèrent que l’arrêt du tabac serait plus difficile chez les patients BPCO.
Le poids des comorbidités psychiatriques
En revanche, les comorbidités psychiatriques peuvent peser lourd. La symptomatologie de sevrage est plus sévère dans cette population. En cas d’humeur dépressive associée, le bupropion LP « peut être intéressant chez les fumeurs qui se plaignent, lors des arrêts précédents, d’une apathie, d’une absence de stimulation psychomotrice », tout en sachant, « qu’il existe un risque d’insomnies, d’états hypomaniaques, d’irritabilité, de dépression, de maux de tête, etc ». Le bupropion est par ailleurs contre-indiqué chez les patients ayant des antécédents de trouble bipolaire, chez lesquels il pourrait entraîner un épisode maniaque durant la phase dépressive de leur maladie. La publication en 2016 de l’étude Eagles a cependant permis de rassurer sur l’impact neuropsychiatrique des médicaments du sevrage, en ne mettant en évidence aucune augmentation du risque suicidaire sous varénicline, bupropion ou substituts nicotoniques vs placebo, y compris chez les patients avec antécédents psychiatriques.
Encore peu utilisées, les thérapies cognitivo-comportementales peuvent être une aide en complément d’un suivi psychologique, de substituts nicotiniques ou de médicaments.
Le niveau de dépendance est un autre élément à considérer pour optimiser le sevrage. Afin d’estimer la dépendance et la posologie des substituts nicotiniques à prescrire, le « Heaviness of Smoking Index » (HSI), basé sur deux questions (« Quel est le nombre de cigarettes quotidiennes fumées » et « Au bout de combien de minutes après votre réveil fumez-vous votre première cigarette ? »), est « totalement adapté à la pratique médicale de ville », souligne Ivan Berlin. « La dernière question, qui fait aussi partie du test de Fagerström, est particulièrement pertinente pour évaluer la dépendance et la difficulté du sevrage. Indépendante de la consommation quotidienne, il a été démontré qu’elle prédit le risque de cancer du poumon et l’espérance de vie. »
Le nombre de cigarettes par jour permet quant à lui d’estimer la dose quotidienne de SN à prescrire : 1 cigarette équivaut à 1 mg de nicotine environ, en sachant que la biodisponibilité des substituts nicotiniques est moindre que celle de la cigarette (20 % en moins). 15 cigarettes par jour équivalent donc à environ 20 mg de substituts nicotiniques par jour.
Une baisse des consommations à deux vitesses
Selon le BEH daté du 26 mai, en 2019, trois Français de 18-75 ans sur dix déclaraient fumer (30,4 %), et un quart quotidiennement (24 %). Cette réduction de 4,5 points comparé à 2014 tend cependant à marquer le pas avec un recul non significatif en 2019 et une reprise des consommations à la hausse pendant le confinement selon plusieurs enquêtes.
Autre bémol, cette tendance à la baisse masque de fortes disparités selon les populations. Ainsi, la diminution enregistrée entre 2018 et 2019 ne concerne que les femmes, dont le tabagisme quotidien a reculé de 22,9 % à 20,7 %. Par ailleurs, les inégalités sociales restent très marquées avec, pour le tabagisme quotidien, un écart de 17 points entre les personnes au chômage (prévalence du tabagisme de 42,7 %) et les actifs occupés (25,3 %), et 12 points d’écart entre les plus bas revenus (prévalence du tabagisme de 29,8 %) et les plus hauts (prévalence de 18,2 %). De plus, la diminution observée l’an dernier chez les plus fragiles (non diplômés, chômeurs) n’est pas retrouvée cette année.
Portrait-robot Ces données font écho au « portrait robot du fumeur » dressé par Santé publique France. Les adeptes de la cigarette sont majoritairement des hommes (53,8 %) âgés entre 25 et 54 ans (66,5 %) et qui se trouvent plus souvent dans des situations sociales difficiles : 13,6 % sont au chômage, soit deux fois plus que les non-fumeurs. Par ailleurs, les fumeurs présentent une moins bonne santé mentale, avec plus d’épisodes dépressifs caractérisés, plus de symptômes d’anxiété, plus d’insomnie chronique. Ils consomment bien plus souvent d’autres substances psychoactives (alcool, cannabis). Pour autant, ils font moins souvent appel aux soins de premier recours ; 79,4 % ayant eu recours au médecin généraliste au cours des 12 derniers mois contre 84,8 % des non-fumeurs.