La France a attendu la venue sur le marché des iSGLT2, entre cinq et huit années de plus que les autres pays développés. Ce fut, un 1er avril 2020 durant le premier confinement, une commercialisation qui surprit les médecins, surtout les diabétologues qui n’y croyaient plus guère.
Il se trouve que, durant toutes ces années d’attente, de très nombreux travaux ont porté sur cette classe et leur sécurité cardiovasculaire − comme l’exigent désormais les tutelles, FDA et EMA. Ceux-ci ont démontré, de façon aussi remarquable qu’inattendue, un pouvoir cardioprotecteur, principalement une réduction des hospitalisations chez les diabétiques de type 2 (DT2) insuffisants cardiaques (IC) et même chez les non-diabétiques avec IC (lire p. précédente). Ils ont ensuite prouvé, grâce à plusieurs essais aussi concluants que convergents, un puissant effet néphroprotecteur chez les DT2 avec maladie rénale (lire p. 12), et cela a été confirmé chez des sujets non-diabétiques néphropathes. Ces remarquables résultats ont conduit les sociétés savantes (ADA, EASD, SFD) à réécrire leurs consensus et revoir le schéma de leurs algorithmes de prise en charge du DT2, mettant au premier plan surtout le cœur et le rein dans le choix des deux classes d’antidiabétiques à privilégier, les iSGLT2 et les arGLP1.
Des effets constants sur la glycémie et le poids
En France, nous n’avons pu disposer des iSGLT2 qu’après que ces données ont été connues et ces consensus largement diffusés… au contraire de nos collègues, partout ailleurs dans le monde, qui les utilisaient déjà préalablement, sur la base de données portant sur leur pouvoir d’abaissement glycémique, leurs effets pondéraux favorables, et les possibilités de leur association en bi- et trithérapie, avec la metformine d’abord mais aussi avec les sulfonylurées, les gliptines (iDPP4)* et l’insuline.
Au total, ils les perçurent et les intégrèrent dans leur arsenal thérapeutique comme des antidiabétiques, oraux, sans viser à protéger spécifiquement le cœur ou le rein.
Et il s’avère que cette classe des iSGLT2 offre plusieurs avantages tout à fait singuliers. Tout diabétique ayant une masse de néphron suffisante est nécessairement répondeur, que ce soit au plan glycémique ou pondéral. Cela est un fait unique dans le domaine thérapeutique du DT2. Que ce soient les gliptines, les sulfamides hypoglycémiants ou les arGLP1 : toutes les autres classes offrent des degrés de réponses thérapeutiques variables.
Même constat au plan pondéral : ils font partie, avec les arGLP1, des deux classes d’antidiabétiques qui réduisent le poids, mais seuls les iSGLT2 le font chez tous les patients.
Le B. A. – BA : arrêter un traitement qui ne marche pas
C’est d’ailleurs pourquoi le consensus Nice britannique, repris par la SFD, recommande de vérifier régulièrement si le traitement antidiabétique doit, ou non, être poursuivi… En clair : il convient de ne pas poursuivre ce traitement s’il s’avère peu ou pas efficace au plan glycémique (voire pondéral), de potentiels bénéfices de prévention cardiovasculaire ne pouvant seuls justifier le traitement, en l’absence de réponse à celui-ci. Cela est particulièrement rappelé pour les arGLP1 : des règles d’arrêt (« stopping rules ») ont été fixées, reflet de la diversité des réponses à cette classe.
Par conséquent, partout ailleurs dans le monde, les iSGLT2 ont occupé « leur » place dans l’arsenal thérapeutique de l’hyperglycémie du patient avec DT2. Ce n’est que par la suite que leurs effets propres, sur l’insuffisance cardiaque ou la maladie rénale, sont venus préciser auxquels de ces patients avec DT2 ces molécules pouvaient apporter un bénéfice supplémentaire − en plus de réduire l’hyperglycémie et le poids.
L’exception Française
En France au contraire, la classe des iSGLT2, arrivée après la mise en avant de leurs effets cardio-rénaux, a été d’abord perçue comme ciblant surtout le cœur puis le rein, un peu comme des statines, des IEC ou des sartans ! De plus, leur prescription a été réservée aux diabétologues, qui voient ces patients assez tard dans l’histoire de la maladie, donc peu au moment où les bi- et trithérapies antidiabétiques sont à décider.
On peut légitimement se poser la question d’un élargissement de la prescription des iSGLT2 à ceux des médecins qui voient les patients avec DT2 plus tôt dans l’histoire de la maladie… Comme partout ailleurs dans le monde au demeurant ! L’exception française, qui avait déjà tant retardé la venue des iSGLT2, ne devrait-elle pas maintenant laisser la place au bon sens ? Les iSGLT2 sont d’abord des antidiabétiques oraux !
Exergue : Tout diabétique ayant une masse de néphron suffisante est nécessairement répondeur, au plan glycémique comme pondéral
Professeur Émérite, Université Grenoble-Alpes
* L’association des iSGLT2 avec les gliptines n’est pas encore autorisée en France