Fracture numérique, isolement ou encore méfiance vis-à-vis de la science… Les freins à la vaccination des personnes fragiles, qu’elles soient âgées ou en situation de précarité, sont nombreux. Pourtant, depuis le début de la campagne, les pouvoirs publics peinent à trouver des stratégies adaptées pour vacciner ces personnes isolées. À Champigny-sur-Marne, où le taux de vaccination des plus de 75 ans est près de quatre points inférieur à la moyenne nationale, les médecins du centre de vaccination mettent en œuvre des solutions pour vacciner à domicile et tenter de rattraper ce retard.
Il est 9 heures, ce mardi 25 janvier, lorsque le Dr Joanne Cailloux, médecin généraliste remplaçante, franchit les portes du centre de vaccination de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). Comme tous les mardis matin depuis la mi-septembre 2021, la praticienne, qui jongle entre une activité libérale en cabinet et une activité salariée dans un centre de santé, s’apprête à assurer une tournée de vaccination à domicile.
« Salut Joanne, comment tu vas ? », lui lance le Dr Pouya Habibi, médecin généraliste et coordinateur du centre, en charge du listing des rendez-vous. Dans ce centre de vaccination situé à une quinzaine de kilomètres de Paris, les journées démarrent dans une ambiance bon enfant ; autour d’un thé à la menthe et de gâteaux, les infirmiers et médecins discutent avant l’arrivée des premiers patients et s’autorisent parfois même à rêver d’un futur proche sans l’ombre d’une pandémie. Tout cela dans le strict respect des gestes barrières.
Vacciner à domicile pour toucher les plus vulnérables
Mais ces professionnels de santé sont vite ramenés à un principe de réalité. Dans le Val-de-Marne et comme dans l’ensemble des départements d’Île-de-France à l’exception de Paris, la couverture vaccinale de la population est inférieure à la moyenne nationale. En effet, sans distinction d’âge, 73 % de la population présente un schéma vaccinal initial complet dans le Val-de-Marne contre 78 % à l’échelle de la France, selon les chiffres de l’Assurance maladie en date du 23 janvier.
Un écart tout aussi important pour la tranche d’âge des 65-74 ans, qui affiche 95 % de taux de vaccination à l’échelle nationale contre 92 % dans le Val-de-Marne. Pour la tranche d’âge des plus de 75 ans, les taux sont respectivement de 91 % et 87 %.
Alors, lorsque les professionnels de santé du centre de vaccination de Champigny-sur-Marne ont commencé, dès le 14 septembre, à proposer la vaccination à domicile, chose relativement rare dans ce type de structures, le Dr Joanne Cailloux n’a pas hésité une seconde.
« Je vaccinais déjà dans le centre depuis février 2021. Cela m’a paru être une évidence d’y participer. Il est essentiel de proposer des visites à domicile à des personnes âgées, souvent isolées, dont la situation sociale ou médicale est complexe. C’est par ailleurs un bon moyen de varier son activité, de sortir de son quotidien et d’être dans une approche transversale », témoigne-t-elle.
Mais trêve d’explications. Le temps est compté. Le Dr Joanne Cailloux a, ce matin, cinq visites à domicile et six doses à administrer entre 9 h 30 et 13 heures dans les communes de Champigny-sur-Marne, Villiers-sur-Marne et Le Plessis Trévise. Il s’agit soit de primo-injection, soit de troisième dose pour des patients dont l’âge varie entre 69 et 91 ans.
De la nécessité de s’adapter aux patients démunis ou réfractaires
« Les patients que nous vaccinons à domicile sont dans l’incapacité de se déplacer », confie le Dr Joanne Cailloux, après avoir récupéré, auprès du Dr Habibi, une fiche récapitulative avec les rendez-vous et les coordonnées des patients. Fiche qui servira par ailleurs de bordereau de facturation à l’Assurance maladie.
Le Dr Joanne Cailloux récupère ensuite les six monodoses de vaccin Pfizer préparées quelques minutes à l’avance par Nathalie, infirmière libérale et coordinatrice du centre. La sixième dose servira à vacciner l’auxiliaire de vie d’une patiente, présente au moment du rendez-vous.
Une fois les doses glissées dans sa mallette d’un rouge rutilant, le Dr Joanne Cailloux imprime les six passes sanitaires qu’elle délivrera en guise de précieux sésame aux patients fraîchement vaccinés.
« C’est important de leur fournir leur passe en version papier. Les personnes que nous vaccinons sont, dans 90 à 95 % des cas, des personnes âgées de plus de 70 ans et qui n’ont parfois pas de smartphone ou sont dans l’incapacité de l’utiliser. Il nous arrive aussi de vacciner des personnes plus jeunes handicapées ou avec des troubles neurologiques. Il faut s’adapter à eux », explique-t-elle.
Aux alentours de 9 h 25, une fois les tâches administratives et logistiques réglées, le Dr Joanne Cailloux peut enfin débuter sa tournée. Le premier rendez-vous a lieu à environ un quart du centre de vaccination en voiture. Au volant, la praticienne donne quelques détails sur le profil de son patient. Il s’agit d’un homme de 69 ans, seul et sous curatelle, dont le rendez-vous pour la primo-injection a été pris par son ex-femme.
Une fois à son domicile, il est vite perceptible qu’il s’agit d’une personne très isolée. Il présente par ailleurs des troubles psychiques. Courbé sur son canapé, l’homme semple perdu. « Comment allez-vous, monsieur ? Vous sortez de chez vous de temps en temps ? », l’interroge le Dr Joanne Cailloux. « Non, je n’ai vu personne depuis des mois, je ne peux plus marcher alors je reste chez moi », lui répond-il, regard fixé au sol.
Après avoir répondu difficilement au questionnaire habituel qui précède la vaccination, le patient se montre plutôt défiant. « Rassurez-moi, je ne suis pas en train de signer mon arrêt de mort ? », demande-t-il au médecin alors qu’il est en train de signer son formulaire de consentement.
Pédagogue, la praticienne le rassure et lui explique le principe du vaccin. Une fois le patient apaisé, elle procède à l’injection et l’informe des potentiels effets secondaires de la vaccination : « À partir de ce soir, vous pouvez avoir un petite grippette, mais ça passe très vite, vous pouvez prendre un paracétamol toutes les six heures. » Une fois les quinze minutes de surveillance passées et le certificat de vaccination délivré, il est temps pour le Dr Joanne Cailloux de poursuivre sa tournée.
Les trois rendez-vous suivants sont tous des rappels pour des personnes d’au moins 80 ans relativement isolées. Pour les deux premières injections, ces derniers avaient pu être pris en charge par ambulance ou s’étaient déplacés accompagnés d’un proche aidant en centre de vaccination. Cette fois-ci, les rendez-vous à domicile ont été pris directement par leurs enfants auprès du centre de vaccination.
« Des personnes qui ne se seraient jamais déplacées »
Mais lorsque des personnes âgées demeurent complètement isolées, il arrive que les rendez-vous soient pris directement par le corps médical, parfois seul et unique contact avec le monde extérieur.
C’est le cas pour le dernier rendez-vous de la tournée. Il a lieu chez Fleurette, une dame de 90 ans atteinte de troubles neurologiques. Une femme d’une quarantaine d’années, sourire aux lèvres, ouvre la porte du domicile. Il s’agit de Nino, auxiliaire de vie qui travaille chez la patiente depuis un mois, à raison de trois fois par jour, après qu’un médecin a sollicité des aides. Ce même médecin est aussi à l’initiative de la prise de rendez-vous.
Une fois les questions de formalités posées à Fleurette, le Dr Joanne Cailloux procède à la première injection de vaccin. « Voilà, c’est déjà fini, sourit-elle. Un médecin reviendra dans trois semaines pour faire votre deuxième injection ! ». Informée de la situation de Nino, bénéficiaire de l’aide médicale d’État (AME), le Dr Joanne Cailloux profite également de ce rendez-vous pour lui administrer sa troisième dose et l’aider à télécharger son passe vaccinal. « Nous vaccinons essentiellement des seniors à domicile mais si on peut vacciner et rendre service à d’autres, évidemment on le fait », confie-t-elle.
Quatre mois après le lancement de la vaccination à domicile, les médecins du centre tirent un bilan très positif du dispositif. Depuis le 14 septembre, 377 personnes âgées, dépendantes ou handicapées, de cinq communes du Val-de-Marne ont pu être vaccinées. « Ce sont des personnes qui ne se seraient jamais déplacées donc ça reste toujours une réussite », estime le Dr Frédéric Villebrun, également médecin coordinateur au centre, médecin directeur de la santé et généraliste au sein des centres municipaux de santé (CMS) de Champigny-sur-Marne.
Et, alors qu’à l’échelle nationale, 500 000 personnes de plus de 80 ans n’ont toujours pas reçu de dose de vaccin contre le Covid-19, ces efforts ne sont pas négligeables dans un territoire où la vaccination demeure plus basse que la moyenne nationale.
Selon le Dr Villebrun, ce dispositif d’aller-vers est rendu possible grâce à « une organisation des mairies, des collectivités territoriales et des professionnels de santé du territoire de Champigny ». Le généraliste regrette toutefois : « L’organisation de l’aller- vers a beaucoup reposé sur ces acteurs et, finalement, nous nous sommes débrouillés avec des fichiers souvent incomplets. Alors oui, l’Assurance maladie a proposé aux médecins la liste de leurs patients non-vaccinés, mais cette liste a présenté quelques lacunes car les informations n’étaient pas toujours à jour. Il y a vraiment des efforts à faire à ce niveau-là. »
Les coordinateurs médicaux du centre de vaccination misent maintenant sur le renouvellement d’une opération d’aller-vers en partenariat avec l’Assurance maladie baptisée « Vaccinons nos aînés », pour redynamiser la vaccination vers ce public. Ce dispositif national mis en place entre novembre et décembre dernier au sein du centre de vaccination avait finalement été délaissé pour préférer l’organisation actuelle.
« C’était très chronophage et le système était mal rodé. Il nous arrivait de louper des rendez-vous car le centre d’appels Teleperformance, qui gérait la prise de rendez-vous, ne nous en informait pas, résume le Dr Pouya Habibi. Depuis, le système s’est vraiment amélioré, cela va permettre de toucher plus de personnes à l’extérieur de Champigny. »