Pas de recommandation de rupture ni de grandes études majeures : cette année, le congrès de la société européenne d’hypertension (Milan, 21-24 juin) aura surtout été l’occasion de s’intéresser à des populations ou des situations spécifiques, souvent rencontrées au cabinet, pour lesquelles la conduite à tenir prête encore à discussion.
C’est à Milan que s’est tenu fin juin le 29e congrès de l’ESH (European society of hypertension). Après la parution de ses nouvelles recommandations sur l’HTA l’an dernier, la société savante s’est penchée cette année sur certaines “zones grises” où les chiffres de PA ne suffisent pas toujours à trancher. Que ce soit en cas de pression normale haute, où la conduite à tenir dépend surtout du niveau de risque cardiovasculaire ; face à une élévation isolée de la PAS chez l’enfant qui ne reflète que rarement une véritable hypertension ; ou encore chez le sujet âgé chez qui la variabilité tensionnelle pourrait intervenir dans le déclin cognitif indépendamment du niveau de pression artérielle.
>La pression normale haute : pas si normale que ça ?
En abaissant les chiffres définissant l’HTA à 130/85 mmHg, les guidelines américaines de 2017 ont jeté un pavé dans la mare. En Europe et notamment en France, les experts n’ont pas suivi et les dernières recommandations de l’ESH comme celles de la Société française d’HTA ou de la HAS continuent de fixer le seuil à 140-90 mmHg. Cependant, l’attitude à avoir face à des chiffres légèrement inférieurs suscite de nombreuses interrogations, comme en témoigne la session du congrès spécifiquement dédiée à la pression normale haute (PNH).
La PNH est définie par une PAS/PAD de 130-139 et/ou 85-89 mmHg. Des essais randomisés ou des études de cohorte montrent qu’elle est associée à un risque accru de progression vers l’HTA, d’altération de la fonction rénale et de complications cardiovasculaires (CV) par rapport aux normo-tendus. Par ailleurs, en cas de PNH, le risque de syndrome métabolique est nettement augmenté (30 à 35 % vs < 5 % si la PA est normale), de même que celui de diabète, avec un taux identique à celui de l’HTA stade 1, et ce indépendamment des autres facteurs de risque, en particulier de l’IMC. La PNH a un impact sur la fonction cardiaque, et les données échographiques ont montré qu’elle s’associe à une hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) et une épaisseur de la paroi myocardique plus marquées qui pourraient être superposables à celles de l’hypertendu.
Faut-il pour autant traiter dès le stade de PNH ? Globalement, la cible de PA chez la plupart des hypertendus a déjà été abaissée à moins de 130/80 mmHg. Mais que se passe-t-il si, comme les Américains, on baisse les cut-off pour définir le stade 1 de l’HTA à 130-139 et/ou 85-89 mmHg au lieu de 140-159 et/ou 90-99 ? L’étude prospective en vraie vie Monica/Kora (11 603 personnes en population générale, âgées en moyenne de 47 ans, suivies pendant 10 ans) montre que cela amène à augmenter significativement la prévalence de l’HTA de 34 à 63 %, et donc à traiter par hypotenseurs avec ses potentiels effets indésirables une population à faible mortalité cardiovasculaire.
Cela conforte les recommandations de l’ESH/ESC 2018 préconisant en cas de PNH de promouvoir les mesures hygiéno-diététiques mais de n’envisager le traitement pharmacologique que si le risque CV, et en particulier coronaire, est très élevé. Des méta-analyses s’étaient révélées plutôt favorables à cette stratégie. Une étude de 2017 conclut que baisser une PA normale ou normale haute chez les personnes à risque CV très élevé permet de réduire les complications CV, essentiellement les AVC. Une autre méta-analyse de 2018, incluant 306 273 participants, montre qu’en prévention primaire, l’instauration d’un traitement hypotenseur n’amène de réduction des décès et des évènements CV que si la PAS initiale est ≥ 140 mmHg. En dessous de ce seuil, on ne constate un bénéfice qu’en cas de pathologie CV existante, avec une diminution des complications mais pas d’incidence sur la mortalité.
« La population à PNH est très hétérogène, et on ne doit envisager de traiter que les personnes à très haut risque CV, souligne le Pr Enrico Agabiti Rosei (Italie). Une pression normale haute demande une évaluation des autres facteurs de risque, ainsi qu’une mesure de la PA ambulatoire, vu la fréquence de l’HTA masquée (44 % des cas, selon une étude). La PA devra être vérifiée au moins une fois par an. »
Le mieux est l’ennemi du bien
Une étude italienne a analysé les conséquences pratiques de l’application des recommandations européennes de 2018 qui ont baissé les objectifs tensionnels (120 à 130 mmHg pour les moins de 65 ans et 130 à 139 mmHg au-delà au lieu de 140/90 auparavant), les rendant plus difficiles à atteindre et imposant l’intensification du traitement. Par rapport aux recommandations précédentes, pour les mêmes chiffres tensionnels, il serait nécessaire d’augmenter les doses ou d’associer un autre antihypertenseur, ce qui peut augmenter les effets indésirables, diminuer la compliance et paradoxalement entraîner un moins bon contrôle de la PA.
>Déclin cognitif : la variabilité tensionnelle plus péjorative que l’HTA ?
L’HTA participe au vieillissement cérébral par divers mécanismes, via les AVC et les lésions ischémiques silencieuses qui conduisent à la démence vasculaire mais concourent aussi à majorer le risque de maladie d’Alzheimer tout comme l’élévation de la PA elle-même. On sait maintenant, que comme pour les maladies cardiovasculaires ou l’atteinte rénale, la variabilité tensionnelle est, indépendamment du niveau de la PA, un élément péjoratif pour les fonctions cognitives.
On distingue différents types de variations tensionnelles, selon qu’elles se manifestent à court, moyen, long ou très long terme. Globalement, les variations les plus courtes sont influencées par le stress et l’hyperactivation du système nerveux sympathique ; les variations à moyen et long terme relevant plutôt de la diminution de la compliance artérielle du fait de l’âge, mais aussi de la mauvaise gestion des traitements antihypertenseurs. « Quelques études ont mis en évidence la corrélation entre l’altération des fonctions cognitives et l’amplitude de la variabilité tensionnelle, qu’elle soit à court ou long terme », note le Pr Christina Sierra (Portugal) « Il a aussi été montré que les non-dippers (pas de diminution de la PA nocturne) et les risers (hypertension nocturne) sont non seulement plus à risque d’AVC mais aussi plus exposés au déclin cognitif et à la démence. Par contre, les données manquent pour savoir si un traitement réduisant cette variabilité tensionnelle assurerait une meilleure protection que la seule baisse de la PA. »
>Hypertension de l’enfant, des chiffres trompeurs
L’augmentation de la prévalence de l’HTA chez les jeunes avait justifié la mise à jour des recommandations européennes en 2016 et américaines en 2017. à l’occasion du congrès de l’ESH, le Pr Empar Lurbe (Espagne) est revenu sur quelques points clefs de ces nouvelles guidelines.
Les HTA blouse blanche et masquée n’étant pas rares chez l’enfant et l’adolescent, la PA doit toujours être vérifiée par une mesure ambulatoire. « D’autre part, l’HTA systolique isolée, type le plus fréquent chez le jeune, doit faire l’objet d’une mesure de la pression centrale, car dans bon nombre de cas, l’élévation de la PA au bras ne s’accompagne pas d’une élévation de la pression centrale et ne nécessite pas de prise en charge », insiste le Pr Lurbe.
Les recommandations européennes n’ont modifié la définition de l’HTA que chez les adolescents de plus de 16 ans : comme chez les adultes, on parle d’l’HTA au-delà de 140/90 mmHg. Pour les plus jeunes, l’augmentation de la PA avec l’âge et la taille ne permettant pas de se référer à un seul chiffre, l’HTA se définit par une PA au-delà du 95° percentile.
Par contre, les recommandations américaines ont modifié le cut-off pour les plus de 13 ans à 130/80 mmHg, ce qui amène par rapport à la classification basée sur les percentiles à augmenter significativement l’incidence de l’HTA, en particulier chez les obèses, sans pour autant que cette stratégie ne permette d’améliorer le repérage des atteintes des organes cibles, en particulier le cœur.
En bref
Des mûres contre l’HTA ? L’extrait de morus alba (mûrier blanc) aurait des propriétés vasodilatatrices (et donc hypotensives) en augmentant le relargage du NO endothélial. Non toxique, il est actuellement à l’étude dans un alicament en association avec quatre autres extraits végétaux.
Les femmes enceintes friandes d’auto-mesures tensionnelles Selon une étude française menée chez des femmes enceintes utilisant une application pour suivre leur grossesse, près d’un tiers d’entre elles pratiquent l’auto-mesure tensionnelle, dont la très grande majorité (90 %) sans incitation ni instruction médicale. Pour les auteurs, ces chiffres doivent inciter à fournir aux futures mamans des applications fiables et scientifiquement validées.
Thiazidiques et cancers cutanés, quoi de neuf sous le soleil ? Une session du congrès a permis de faire le point sur le risque de cancer cutané (hors mélanome) sous thiazidiques. Parmi 13 études observationnelles, neuf relèvent une association positive. L’augmentation du risque varie de 3 % à 311 % en fonction du thiazidique et du type de cancer cutané – carcinome basocellulaire ou épithéliomas. Cette toxicité cutanée pourrait être liée à leur pouvoir de photosensibilisation, mais des études mieux menées sont indispensables pour y voir plus clair.