L’ancien directeur général de la Cnamts, Frédéric Van Roekeghem est un homme de parole. Après qu’il ait annoncé mi-mai sa volonté de sanctionner les praticiens qui feraient un usage trop généreux du
« non substituable » sur leurs ordonnances, l’Assurance Maladie initie des enquêtes visant certains praticiens. Selon ses calculs, le coût de l’usage abusif de la mention « NS » s’élève en moyenne à 110 millions d’euros par an. Une campagne nationale vise ainsi près de 500 praticiens – dont une grande part de généralistes – qui abuseraient, selon elle, de cette mention.
L’offensive des caisses n’a pas été lancée partout au même moment. Dès le milieu de l’été, le Dr Michel Guiot, d’Esternay (Marne) a reçu une première demande de renseignements de sa Caisse. Le Dr Jean-Luc Allegrety, médecin installé à Gap, a quant à lui été contacté par l’Assurance Maladie début novembre. « J’ai reçu un courrier de la Caisse de Marseille avec une liste de patients pour lesquels j’indiquais que les prescriptions étaient non substituables », explique-t-il.
Exerçant en Moselle, le Dr Emmanuelle Lionnard fait également partie « du premier coup de filet ». L’analyse de son activité lui est parvenue le 15 septembre, ensuite « c’est allé très vite, les recommandés sont arrivés les uns à la suite des autres », raconte-t-elle. En deux mois, elle en a reçu sept. « C’était une période très difficile personnellement », poursuit ce médecin de 46 ans, visiblement encore sous le choc, qui s’est vu arrêtée pendant dix jours.
« Accusée et humiliée »
L’Assurance Maladie dissèque les prescriptions des médecins, à charge pour eux de les justifier. Par courrier, dans un premier temps, puis lors d’un entretien avec le service du contrôle médical de la Caisse. « En fait, on vous invite à prendre rendez-vous », précise Emmanuelle Lionnard, dont l’entretien s’est déroulé le 24 novembre. « J’ai passé 10 heures à reprendre mes ordonnances pour justifier chacune des lignes », raconte-elle. Assistée par un confrère de la FMF, elle s’est expliquée cas par cas, pendant 3 heures. Résumées en 31 lignes, dans un PV d’audition reçu le 27 novembre. « C’est insupportable de se retrouver accusée et humiliée, confie-t-elle, c’est un entretien très pénible mené de façon policière ». À l’issue de cette procédure orale, elle a eu « le sentiment d’avoir été poliment écoutée », mais que la Caisse ne changerait pas le cap.
Qu’est-ce qui détermine, en pratique, le caractère abusif des mentions ? C’est la question que se pose Jean-Luc Allegrety. Face à « un courrier très menaçant faisant état de multiples références juridiques » de la Caisse de Gap, il ne s’est « pas laissé impressionner : « j’ai envoyé à mon tour un courrier pour en savoir plus sur la loi dont il était question et avoir une définition de la notion d’abus ». Car s’il « n’aime pas les génériques et ne (se) gêne pas pour marquer la mention NS », il affirme que son profil de prescripteur est plutôt bon par rapport à la ROSP.
Comme le rappelle le Dr Marcel Garrigou-Grandchamp, responsable de la cellule juridique à la FMF, la loi prévoit la possibilité d’opposer la mention « non substituable » en cas de «?raisons particulières » tenant au patient. Or, dans les messages adressés aux médecins, « la Caisse a changé le terme par “raisons médicales” », relève-t-il. Ce qui lui fait dire que « la Caisse l’interprète de façon à sanctionner les médecins, pour récupérer des sommes en indus ». « La FMF n’hésitera pas à aller devant les tribunaux », affirme celui qui ne se dit, par ailleurs, pas opposé aux génériques. Un terrain sur lequel Michel Guiot compte également se placer. sans attendre son entretien le 22 janvier avec la CPAM de la Marne, il va rencontrer son avocat.
Une procédure bien huilée
Étape suivante après l’entretien, la commission paritaire. Une vingtaine de médecins de Meurthe-et-Moselle ont ainsi été convoqués, leur taux de mention «?NS » approchant les 80 %. Parmi eux « certains pensent que les produits ne sont pas équivalents, d’autres le font à la demande de leur patientèle, et d’autres encore ne sont pas sensibles au coût économique des médicaments », rapporte le Dr Rémi Unvois, membre de la commission paritaire du département et vice-président de l’UNOF. « Ils vont faire l’objet d’un suivi de l’Assurance Maladie et on va voir s’ils changent leurs pratiques en terme de prescriptions » poursuit-il, « mais ça se passe bien en général, ils comprennent bien ».
C’est l’issue qui semblerait se profiler pour Jean-Luc Allegrety. Il a reçu « un coup de fil du médecin-conseil de la Sécurité sociale qui m’a expliqué en bafouillant qu’aucune sanction n’était prévue » et attend, désormais, une confirmation écrite. À l’inverse – avertissement, paiement de l’indu, transmission de son dossier au niveau disciplinaire – Emmanuelle Lionnard ne sait pas ce qui l’attend. « J’ai très peu d’info sur les sanctions », déplore-t-elle. Elle a d’ores et déjà sollicité un avocat et alerté ses patients sur l’importance du générique.
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