Gamin, il rêvait de devenir peintre. Mais l’œuvre de sa vie aura été de prendre soin, tout au long de sa carrière de médecin, des patients les plus vulnérables. Est-ce le fruit de l’éducation qu’il a reçue de ses parents arrivés avec lui du Maroc à Paris alors qu’il avait deux ans ? « Mes parents étaient très hospitaliers et attentifs aux autres, cela a forcément joué », confie le Dr Gilles Lazimi, âgé aujourd’hui de 66 ans. Au moment de choisir son orientation, la loi Debré de 1973 supprime le sursis pour le service militaire sauf pour les études de médecine vers lesquelles il se tourne. Après son cursus à Saint Antoine, et une période de remplacements, il s’installe en 1989 au centre de santé de Romainville (Seine-Saint-Denis) où il exerce toujours aujourd’hui.
La découverte des discriminations
Un premier temps fort allait marquer la suite de sa carrière. Lors d’un séminaire sur le VIH au début des années 1990, avec Aides et Act Up, des médecins font face à des patients séropositifs. « On en a pris plein la figure, les patients nous disaient que nous n’y connaissions rien, nous découvrions les discriminations. Ce moment a été fondateur pour moi. Cela a aiguisé mon esprit critique et m’a montré que je ne pouvais pas me fonder uniquement sur la formation que j’avais reçue », se remémore-t-il.
À cette époque, le généraliste mène des actions de prévention dans les écoles et participe aux premières campagnes sur le préservatif. « En 1993, nous avons apposé dans Romainville des affiches de 4 mètres sur 3 pour encourager le port du préservatif. » Il découvre que beaucoup de femmes sont contaminées par le VIH par leur conjoint, et mesure les difficultés rencontrées par certaines patientes pour imposer le port du préservatif à leur partenaire. Certaines lui confient alors être victimes de violences. « J’ai découvert la charge mentale qui pouvait s’exercer sur les femmes. »
Il bataille alors avec le Dr Emmanuelle Piet, médecin de PMI en Seine-Saint-Denis, pour obtenir la commercialisation du préservatif féminin et va jusqu’à en distribuer à tous les médecins du département.
Pionnier de la lutte contre les violences faites aux femmes
Dans les années 1995, le généraliste prend conscience de l’ampleur du phénomène des violences conjugales. « Certaines de mes patientes avaient des problématiques de santé et je ne comprenais pas leurs symptômes, leurs demandes me paraissaient incompréhensibles. J’ai compris que je manquais de formation », explique-t-il. Le médecin veut comprendre ce que les femmes ressentent. Il s’aperçoit qu’il peut les interroger sur les violences et avoir parfois des réponses. « Un jour, j’ai mis deux affiches dans mon cabinet sur les violences. À 9 heures, une patiente que je suivais depuis 15 ans tombe en larmes en me disant « moi aussi ». Puis une seconde… » Le Dr Lazimi lance une mini-enquête auprès de 100 patientes : la moitié indique avoir été victime de violences verbales, une sur trois de violences physiques et une sur cinq de violences sexuelles. « J’ai découvert que 12 avaient été victimes d’inceste. Et quasiment aucune de ces femmes victimes de violence ne m’en avait parlé. »
Une nouvelle enquête menée dans toute la France permet de confirmer l’ampleur du phénomène. C’est le début d’un engagement qui mènera le Dr Lazimi à s’investir dans plusieurs associations : le Collectif féministe contre le viol, le planning familial, SOS Femmes 93, ou ONU Femme France. Avec ces associations, il multiplie les campagnes contre l’inceste, le viol, les viols conjugaux.
Il faudra attendre l’automne 2019 pour que des mesures fortes soient adoptées dans la foulée du Grenelle des violences faites aux femmes (lire notre dossier sur les généralistes en première ligne contre les violences).
Gilles Lazimi prend aussi conscience de l’impact des violences conjugales sur les enfants et s’engage contre les violences éducatives ordinaires (VEO), qu’il s’agisse des actes de brutalité physiques mais aussi des insultes ou propos dévalorisants qui fragilisent l’enfant dans sa construction. Il se mobilise avec Stop Violences éducatives ordinaires (StopVEO), fondée en 2016. Les clips de l’association, diffusés à la télévision contribuent à faire évoluer la société jusqu’à l’adoption de la loi dite « anti-fessée » du 10 juillet 2019.
L’importance de la transmission
Engagé sur plusieurs fronts, ayant l’oreille des autorités, le Dr Lazimi aurait pu faire de la politique ; il n’en a jamais eu l’envie. « Le pouvoir ne m’intéresse pas », confie le généraliste qui avoue se sentir proche de deux femmes de gauche, Laurence Rossignol et Najat Vallaud-Belkacem, mais aussi travailler en bonne intelligence avec Maud Petit (Modem), qui a porté la loi contre les violences éducatives ordinaires ou des élus Renaissance.
Membre du Collège de la médecine générale, le Dr Lazimi est aussi actif au sein du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes où il préside la commission « santé sexuelle et droits reproductifs ». Depuis 2007, le généraliste enseigne sur les violences faites aux femmes, aux enfants mais aussi sur les inégalités de santé, à l’Université Pierre et Marie Curie (UPMC) où il est maître de conférences. « Quand je vois les compétences acquises par les jeunes généralistes à la fin de leur internat, je trouve cela formidable ! », s’enthousiasme-t-il.
À passer sa vie à lutter, à s’engager, le généraliste s’autorise-t-il à être heureux ? « Oui, je suis très heureux quand je vois les victimes aller mieux, se prendre en charge avec notre aide », relate le généraliste, également marié depuis près de 40 ans et père de trois grands enfants.
Si la prise de conscience des problématiques des violences a grandement évolué en France, beaucoup reste à faire, affirme cependant le médecin. « Il y a toujours entre 120 et 125 féminicides chaque année et encore trop peu de plaintes aboutissent à une condamnation. » Gilles Lazimi souhaiterait que ses confrères soient davantage protégés et accompagnés lorsqu’ils réalisent une déclaration de violences. Son prochain cheval de bataille.
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