LE QUOTIDIEN : Vous avez achevé un « Tour de France » des CPTS, à la demande du ministère de la Santé. Quel était l'objectif ?
DR MARIE-HÉLÈNE CERTAIN : Agnès Firmin Le Bodo a souhaité qu’un bilan d’étape soit réalisé sur ce qui fonctionne et sur les freins au développement des CPTS, assorti de propositions pour favoriser leur déploiement. Créée par la loi Touraine de 2016, la CPTS est une organisation territoriale encore très jeune ! Aujourd’hui, on en recense 756 – tous niveaux de maturité confondus. Nous avions choisi d'en rencontrer une par région métropolitaine et ultramarine, soit 19 en tout, de toutes les tailles, de maturité différente, en zone urbaine ou rurale ou dans les quartiers prioritaires. En parallèle, nous avons envoyé un questionnaire à l’ensemble des communautés pour avoir des données quantitatives et qualitatives. On a reçu 273 réponses. Enfin, nous avons auditionné des personnalités qualifiées comme les représentants de la Fédération des CPTS, des maisons de santé, des URPS, de l’Assurance-maladie ou des patients.
Quel est l'état d'esprit des troupes sur le terrain ?
J’ai constaté un véritable engouement et un enthousiasme de ces collectifs, même s’ils ne nient pas les difficultés. La crise du Covid a été un « booster » pour ces organisations rassemblant majoritairement des libéraux dont les médecins généralistes. Grâce aux initiatives pendant la pandémie, comme les centres de vaccination et les dépistages, les CPTS ont démontré leur intérêt aux professionnels. Cet intérêt ne faiblit pas, en particulier chez les généralistes qui exercent de façon isolée. Cela leur a permis parfois de sortir du burn-out, de l’isolement. La mayonnaise a donc bien pris ! Après les maisons et les centres de santé, ces organisations émergentes forment le maillon manquant à l’échelle territoriale de l’offre ambulatoire, notamment en soins primaires.
Il existe de nombreuses zones blanches dépourvues de CPTS. Pourquoi ces trous dans la raquette ?
Oui, il y en a même un peu partout, y compris au sein d’une même région ou département. Les raisons sont multiples : une offre de soins insuffisante, des professionnels de santé débordés ou l'absence d'une équipe leader pour porter le projet, élément majeur. Le déploiement des CPTS dans ces territoires sera sans doute plus difficile. Dans ces cas particuliers, nous avons proposé de réunir les acteurs en association préfiguratrice pour analyser chaque situation avec le soutien des représentants locaux – URPS, fédérations, etc.
Avez-vous été surprise par certaines initiatives locales ?
Non, nous n'avons pas été surpris par la nature des actions mises en place mais plutôt par l'énergie, l’inventivité et l’intelligence collective des professionnels. À partir d’un socle commun, avec les missions définies, chaque organisation a su monter des projets variés adaptés aux besoins de la population et des soignants. Beaucoup de CPTS se sont emparées du projet Icope de l’OMS (Integrated care for older people, programme de soins intégrés visant à réduire le nombre de personnes âgées dépendantes, NDLR), de l’accueil des internes, de la recherche de médecins traitants ou de la prise en charge des soins non programmés.
Avez-vous constaté un impact des actions conduites par les CPTS ?
Il est encore trop tôt pour mener un travail d’évaluation. Pour autant, à travers les initiatives recensées, nous pouvons dire que les CPTS améliorent la coordination des actions entre les professionnels, vocation première fixée par la loi.
Quels sont les facteurs clés du succès, là où les CPTS fonctionnent ?
C’est d’abord l’adaptation du projet aux caractéristiques du territoire et aux organisations qui préexistent. Le bon choix est de capitaliser sur tous ces éléments. Il faut aussi une équipe leader qui porte le projet initial, capable de mobiliser les collègues en organisant les premières réunions. De fait, les médecins généralistes sont souvent à l’origine de la création des CPTS. Le troisième facteur clé est l’accompagnement initial de ces porteurs de projet en matière d’ingénierie de façon à établir le diagnostic territorial et de rédiger le projet de santé, ou avec la mise à disposition d’une ressource humaine. De la lettre d’intention à la rédaction du projet de santé, jusqu’à la négociation de l’ACI avec la caisse primaire, ce n’est pas une mince affaire pour les médecins, les pharmaciens ou les infirmiers qui n’ont pas forcément eu cette expérience. La question de la formation du coordinateur est donc aussi un facteur du succès.
A contrario, quels sont les freins ?
Ils sont de plusieurs ordres. Pendant toute la phase projet – lettre d’intention, fiches actions, projet de santé, préparation du premier contrat ACI –, les porteurs ont besoin d’un appui méthodologique et rédactionnel adéquat. Or, certaines communautés ont déploré que des intervenants mis à leur disposition par les ARS soient insuffisamment à leur écoute et non positionnés là où ils étaient attendus.
Un autre frein concerne la difficulté pour certaines CPTS de fédérer les professionnels pour atteindre une masse critique d’adhérents. Visiblement, cet exercice coordonné est encore diversement perçu. Certaines professions comme les masseurs-kinésithérapeutes ou les chirurgiens-dentistes semblent moins enclins que d'autres à s’intégrer dans les CPTS, contrairement aux généralistes, aux infirmiers et aux pharmaciens. Le dialogue complexe avec l'hôpital ou l'impossible accès aux données nominatives de l’Assurance-maladie relatives aux assurés fragiles sans médecin traitant sont d'autres obstacles signalés.
Le niveau de financement accordé dans le cadre conventionnel représente-t-il un frein ?
Pour l’instant, l’enveloppe est suffisante pour beaucoup d’organisations. Mais demain, en fonction des actions développées, il faudra peut-être la revoir selon de nouveaux critères. La question des ressources humaines reste majeure. L’argent sert principalement à financer le coordinateur et à indemniser les professionnels. Ce qui est souvent évoqué par les médecins est la crainte d’une approche comptable fondée sur une culture de l’indicateur, du chiffre, sans marge de manœuvre pour négocier. Une telle approche serait un motif de démotivation pour la grande majorité de libéraux.
Avez-vous décelé quelques « irritants » récurrents ?
Oui. Les professionnels ont largement relayé leurs craintes d’une multiplication progressive d’actions à déployer, sans priorisation suffisante, et surtout sans concertation. C’est le cas de la nouvelle mission « crise sanitaire » apparue en 2022 ou encore de la campagne « zéro patients en ALD sans médecin traitant », menée par la Cnam même si l‘accès aux soins est l'une des priorités des CPTS.
En outre, l’articulation entre les organisations territoriales qui assurent la prise en charge des soins non programmés – l’une de leur mission socle – et la plateforme du SAS (service d'accès aux soins, NDLR) irrite aussi beaucoup. Les professionnels estiment que le service d’accès aux soins devrait davantage tenir compte des organisations déjà en place. Là encore, il y a un risque de décourager les initiatives utiles pour avoir des effecteurs dans les territoires.
Quid de l'adhésion automatique des libéraux aux CPTS – sauf refus exprimé – prévue par la proposition de loi Valletoux ?
Les acteurs ont pris cette mesure comme un mauvais signal. Cette proposition accrédite l’idée d’une mise sous tutelle des libéraux peu propice à susciter l’engagement au-delà de l’adhésion. Elle nourrit l’argumentation des opposants aux CPTS et place les porteurs de projet dans des positions parfois difficiles face à leurs confrères.
Quelles propositions faites-vous pour encourager la généralisation des CPTS ?
La mission a rendu 24 recommandations avec des mesures simples, de nature différente, sans hiérarchie. L’enjeu des prochaines années est de consolider l’existant et d'étendre les CPTS. Pour cela, ces structures ont besoin d'une stabilité juridique et conventionnelle. Leur place et rôle devront être mieux explicités et plus lisibles grâce à une communication pédagogique qui pourrait prioritairement s’adresser aux libéraux mais également aux établissements de santé et aux collectivités territoriales.
Nous préconisons ensuite que les réseaux des ARS (agences régionales de santé) et des caisses primaires donnent davantage de visibilité et de cohérence aux services qu'ils rendent aux CPTS. Quant au financement, il doit être pérenne et transparent. On propose de supprimer le mécanisme complexe de financement en deux temps (75 % et 25 %) en versant l’intégralité des crédits en une fois pour donner une meilleure visibilité aux responsables.
En matière de gouvernance enfin, nous insistons sur le bon fonctionnement d’une association loi 1901 – avec la tenue d’une assemblée générale, d’un conseil d’administration et d'un bureau et la nécessité d’une collégialité des décisions. Une CPTS, ce n’est pas la réunion d’une bande de copains.
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