Le président de l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France dresse un état des lieux très sombre de l'accès aux services d'urgences mais aussi à celui des médecins libéraux.
Sans incriminer les ministres de la Santé successivement aux manettes depuis le premier mandat d'Emmanuel Macron, l'urgentiste déplore les orientations qui ont été données au système de santé, alerte sur les conditions de la formation initiale des futurs professionnels de santé et plaide en faveur de régulations financières incitatives pour l'exercice dans les déserts médicaux, pour les libéraux comme pour les hospitaliers.
LE QUOTIDIEN : Quel est l’état des lieux, aujourd’hui, de l’accès aux urgences dans les services hospitaliers sur le territoire ?
Dr PATRICK PELLOUX : Il est extrêmement mauvais dans de nombreux endroits en France. Des unités ferment, parfois pour une nuit, parfois pour plusieurs jours. L’idée selon laquelle un service d’urgences doit être ouvert 24 heures sur 24 a été continuellement abîmée. L’État pensait pouvoir tout résoudre en disant aux gens « faites le 15, passez par le Samu et le service d’accès aux soins », mais c’est un leurre. J’en veux pour preuve que ce système est quasiment en place partout depuis 2019 et que l’afflux aux urgences n’a jamais baissé. On s’est trompé sur l’orientation politique à donner au système de santé.
Qui est responsable, selon vous, de cette « erreur d’aiguillage » ?
D’abord, c’est un peu facile de charger le ministre en place. En réalité, on a toujours l’impression de rejouer systématiquement une mauvaise pièce de théâtre. L’idée du président Macron, c’était de nommer des ministres médecins et qu'ainsi tout irait bien. Or non, les trois ministres médecins successifs qui ont été nommés à la Santé ont été dans une position d’échec. Le problème est ailleurs. Moi, je questionne les doyens des facultés de médecine, qui ont souvent plus de pouvoir que le ministre de la Santé. 15 % des étudiants en santé qui veulent faire médecine abandonnent le cursus en cours et près d’un tiers souffrent de pathologies anxiodépressives. Une réalité qui concerne aussi les infirmières. On a donc un problème sur la formation initiale.
Attendez-vous davantage du nouveau ministre de la Santé qui, lui, n’est pas médecin ?
Par définition, je n’attends pas grand-chose des ministres parce qu’ils sont dans un jeu de posture extrêmement compliqué. Il faudra attendre de voir ce que va faire Aurélien Rousseau avec le prochain projet de loi de la Sécurité sociale. Nous l’attendons sur plusieurs points. Le premier concerne l’hôpital et la revalorisation de la permanence des soins et des gardes de nuit, un oubli fondamental du Ségur de la santé. Quant au problème majeur de l’organisation du système de santé sur le territoire, je pense que les choses sont mûres pour réguler les installations, mais attention, réguler ne veut pas dire contraindre.
Quelles formes ces régulations aux installations prendraient-elles ?
Il s'agirait essentiellement d'incitations financières, à la fois pour le monde hospitalier et le monde libéral. On doit transgresser les logiques et les lignes de postures des médecins libéraux et des médecins hospitaliers, pour mieux travailler ensemble. On ne peut se satisfaire du fait que la seule réponse aux patients dans les déserts médicaux soit « allez aux urgences » ! Qui, de plus, ne sont plus toujours ouvertes.
De par le plafonnement de la rémunération des intérimaires médicaux ?
C’était une mesure juste parce qu’il y avait une espèce d’inflation à la rémunération et un immense dumping social. La loi Rist était nécessaire. Mais il fallait la lancer après avoir valorisé la permanence des soins pour les hospitaliers.
Comment voyez-vous la rentrée de septembre pour le monde médical ?
J’avoue que je n’en sais rien. Il faudra prendre acte de ce que fera le ministre de la Santé, mais la situation étant tellement épouvantable dans les hôpitaux, il est possible qu’il y ait un vrai mouvement unitaire contre les fermetures des services d’urgences, même si le ministre a fait un pas en disant qu’il n’était pas normal que des structures d’urgences soient fermées. On va voir. Mais attention, on a tous regardé avec intérêt ce qui se passe dans la police actuellement, il est vrai que le mouvement social peut prendre de nouvelles formes.
Propos recueillis par François Petty
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