C’est un leitmotiv manifestement partagé par l’ensemble des syndicats représentatifs des médecins libéraux interrogés par Le Quotidien ce mercredi. À l’aube du second tour des élections législatives à l’issue incertaine, qui pourrait aboutir à une majorité relative, voire absolue, à l’Assemblée nationale pour le Rassemblement national (RN), tous s’accordent à dire en premier lieu qu’il n’est pas du rôle d’un syndicat que de prendre position pour tel ou tel parti, et encore moins d’appeler la profession à des consignes de vote.
Même un communiqué lénifiant peut être mal interprété
Dr Patricia Lefébure (FMF)
Et pourtant, passé ce message, des nuances s’expriment, traduction aussi des débats internes qui ont eu lieu ces derniers jours au sein des syndicats.
Après avoir débattu au sein de leur conseil d’administration, la FMF et le SML refusent catégoriquement de communiquer sur ces élections. « Un syndicat ne fait pas de politique, et particulièrement à la FMF où les adhérents sont de tous les bords politiques, assume de façon transparente la Dr Patricia Lefébure, présidente de la FMF. Même un communiqué lénifiant sur l’accès aux soins ou la défense de la médecine libérale n’apporte rien et cela peut être mal interprété ».
La Dr Sophie Bauer, présidente du SML, renvoie dos à dos les programmes santé du Nouveau Front populaire (NFP) « qui veut fonctionnariser les médecins », celui de la « macronie en faveur d’une médecine sans médecins » et celui du RN « qui n’a pas revu ses idées depuis le programme de Madame Le Pen à la dernière présidentielle ». Une façon de rhabiller tout le monde pour l’hiver. « Les choses sont claires, conclut la chirurgienne thoracique. Respectons l’esprit de notre démocratie où chacun se décide en son âme et conscience et vote à bulletin secret. Pour tous les médecins, le code de déontologie restera au premier plan pour la profession. C’est vissé en nous. »
Les médecins libéraux n’ont jamais aimé qu’on leur donne des leçons d’humanité
Dr Bruno Perrouty (Spécialistes-CSMF)
À la CSMF, « les échanges au sein des groupes WhatsApp des adhérents ont été tendus », confie un cadre syndical. Mais au final, le choix de ne pas communiquer publiquement a été acté par le bureau de la Conf’ pour respecter « la neutralité et son statut apolitique ». « Il y a un large éventail de sensibilités, nous ne pouvons pas nous permettre de mettre la panique en donnant des conseils ou des consignes de vote », confie le Dr Bruno Perrouty, président de la branche spécialistes de la CSMF. « Surtout, les médecins libéraux n’ont jamais aimé qu’on leur donne des leçons d’humanité », ajoute le neurologue de Carpentras.
Cela n’a pas empêché le Dr Luc Duquesnel, patron des Généralistes-CSMF, de prendre sa plume dans un éditorial, mardi 2 juillet, pour rappeler aux généralistes que leur « seule boussole », en cette période « d’eaux troubles » devait être le serment d’Hippocrate, qui se résume à « soigner et prendre soin ». Une allusion à la suppression de l’AME, qui figure dans le programme du RN ? Pas de mention explicite mais un rappel que l’inquiétude de nombreux confrères est alimentée par de multiples portes d’entrée dont « les droits aux soins limités pour certains patients ».
Interrogé par Le Quotidien sur la discrétion de certains leaders, l’ex-président de la CSMF, le Dr Michel Chassang, dit « respecter » cette position de neutralité, y compris de son ancienne centrale. Mais le généraliste s’empresse de rappeler que la CSMF est un syndicat libéral ET social. « Moi, j’aurais réaffirmé un certain nombre de lignes rouges concernant la déontologie et nos missions », avance-t-il. La suppression de l’AME est « contraire à la mission des médecins qui est de soigner tout le monde ». Et la diminution du nombre de praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) « est une mesure de non-sens devant une telle carence démographique ».
Décision assumée chez Avenir Spé
Chez Avenir Spé–Le Bloc, la question de l’expression publique s’est posée à l’occasion d’une consultation générale. Et tout le monde s’est mis d’accord… pour ne pas trancher. Le résultat figure dans un éditorial en date du 1er juillet, signé par le Dr Patrick Gasser, coprésident du syndicat majoritaire chez les spécialistes : « Nous n’avons volontairement pas pris position sur les différents programmes et nous ne le ferons pas, surtout quand aucun d’entre eux n’a une vision claire d’une réorganisation d’un système à bout de souffle ». Le gastro-entérologue est plus disert sur l’enquête lecteurs exclusive du Quotidien ayant révélé qu’un généraliste sur cinq voterait RN au premier tour (contre 13,5 % des spécialistes). « C’est représentatif de la démographie. Les généralistes sont installés à peu près dans tous les territoires, dont les petites villes et territoires ruraux qui votent davantage RN que les agglomérations plus importantes qui votent plutôt à gauche. Et les spécialistes exercent le plus souvent dans les grandes villes. Ce résultat ne m’étonne pas », analyse le Dr Patrick Gasser.
Si par malheur le RN arrive, il va falloir faire avec
Dr Jean-Christophe Nogrette (MG France)
Même MG France, parfois classé plutôt à gauche, a décidé de publier, après un débat « peu prégnant » un communiqué de dix lignes qui « ne dit pas grand-chose », reconnaît le Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint du syndicat. « Dans un système de santé français en crise profonde depuis plusieurs années, des choix politiques hasardeux, tendant à désorganiser un peu plus notre système de santé ou à compliquer l'accès des patients aux soins nécessaires, constitueraient un risque sanitaire majeur et inacceptable », peut-on lire dans le texte de MG France. « Pour nous, c’est une évidence, un syndicat professionnel comme le nôtre n’est pas là pour faire de la politique politicienne. Si par malheur le RN arrive, prévient le généraliste, il va falloir faire avec ».
Les médecins des centres de santé font barrage au RN
L’Union syndicale des médecins des centres de santé (USMCS) n’hésite pas ce mercredi à afficher clairement sa position hostile au RN, par voie de communiqué. « Les résultats du premier tour des élections législatives du 30 juin nous font craindre le pire », s’alarment la Dr Julie Chastang et le Dr Frédéric Villebrun, coprésidents de l’USMCS. Tous deux appellent à faire barrage au Rassemblement National en votant pour les candidat-e-s qui lui sont opposé-e-s et défendent les valeurs de la République. Et ce au nom du maintien « d’un service public de santé de qualité pour tous », du droit de toutes les femmes à la contraception et à l’IVG et d’un système de santé et d’une protection sociale « fondés sur les valeurs de solidarité et d’universalisme ».
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